L’Arctique en hiver ne dort pas | Polarjournal
Les premiers rayons de lumière illuminent les montagnes derrière King’s Bay. Photo : Jacopo Pasotti 2022

Le vent siffle à travers les fenêtres de la base. À l’extérieur, la lumière rose du coucher de soleil durera toute la journée. La température de l’air est de -20°C, mais la température ressentie par notre corps, à cause du vent, est de -44°C. Un panneau d’avertissement est affiché dans le bâtiment principal de King’s Bay, la société norvégienne qui gère le complexe de la base internationale de Ny-Alesund, dans l’archipel le plus septentrional d’Europe, le Svalbard.

L’hiver à la base arctique du Centro Nazionale delle Ricerche (CNR) Dirigibile Italia est dominé par l’obscurité de la longue nuit arctique, ou par la faible lumière du soleil qui s’attarde sous l’horizon, lorsqu’il commence à se lever avec le retour du printemps vers la mi-mars.

Il est facile de penser que l’hiver gèle tout, l’eau, la terre, la vie dans presque tous les écosystèmes terrestres. Il est communément admis que tout reste suspendu en hibernation totale, en attendant le court été arctique.

Mais les quelques scientifiques présents sur la base en hiver vous diront que ce n’est pas le cas. L’Institut des sciences polaires du CNR (https://www.isp.cnr.it/index.php/en/) maintient la base active (on le sent à l’odeur de café qui émane de la petite cuisine du bâtiment) et divers instruments de surveillance de l’environnement.

Le microbiologiste Francesco Montemagno (laboratoire Giovannelli – Université Federico II, Naples) surveille la fosse à neige où sont prélevés des échantillons de sol contenant des microbes. Photo : Jacopo Pasotti 2022

« Notre tâche principale est de nous assurer que nos propres instruments, et ceux de certains pays avec lesquels nous collaborons, continuent de fonctionner, au laboratoire Gruvebadet et à la tour climatique Amundsen-Nobile », explique Riccardo Cerrato (CNR), chef de base pour l’hiver 2021-2022.

Le Gruvebadet est un bâtiment situé non loin de la base. On peut y accéder en motoneige ou parfois même à ski. On y trouve une multitude d’instruments de surveillance de l’environnement, où des échantillons d’air sont prélevés, jour et nuit, tout au long de l’année.

Ces appareils ont montré que les Européens sont capables de contaminer la glace et la neige jusqu’au pôle Nord. Les instruments sont complexes, coûteux, délicats et fondamentaux pour comprendre le fonctionnement de notre planète. Ils montrent que les régions polaires n’entrent pas en hibernation totale en hiver.

La microbiologiste Martina Cascone (Laboratoire Giovannelli – Université Federico II, Naples) montre des échantillons de sol prélevés à quelques kilomètres de la base italienne. Photo : Jacopo Pasotti 2022

Cette année marque le 25e anniversaire de la création de la base italienne à l’avant-poste septentrional de la recherche polaire. Cette fois, la première campagne hivernale a eu lieu pour comprendre l’activité du sol, en particulier de sa communauté bactérienne, pendant le long hiver polaire.

Comprendre l’activité des microbes en hiver est plus qu’une simple curiosité scientifique. « Lorsque le pergélisol,la partie gelée du sol qui fond à cause du réchauffement climatique, se met à fondre, la couche dite active, soit la partie superficielle du sol qui gèle annuellement en hiver et dégèle en été, devient plus épaisse », explique Donato Giovannelli, microbiologiste à l’université Federico II de Naples. L’équipe de M. Giovannelli (https://www.coevolve.eu/) est rejointe par le géochimiste Carlo Cardellini, de l’Université de Pérouse.

Entre les fouilles dans la neige et les pauses avec la foreuse portative avec laquelle il extrait des carottes de sol, Giovannelli explique : « Nous voulons remettre en question la vieille hypothèse selon laquelle il n’y a pas d’activité bactérienne en hiver. Nous savons aujourd’hui qu’il existe une vie adaptée à ce qui est pour nous un environnement extrême. Cette activité microbienne contribue à la production de gaz à effet de serre, mais son niveau d’activité est peu connu et n’est pas pris en compte dans les modèles d’émissions globales. » En bref, tel un cercle vicieux, l’activité microbienne produit des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone et méthane) qui favorisent la fonte du pergélisol. Ce qui favorise l’activité microbienne. Et ainsi de suite, dans un de ces processus auto-entretenus qui exacerbent le réchauffement climatique.

Donato Giovannelli, Martina Cascone, Francesco Montemagno et Carlo Cardellini (Université de Pérouse) en train d’essayer de récupérer un échantillon d’un échantillonneur de fer gelé qui a été foré dans le sol.

« La question n’est plus de savoir si ces processus se produisent, mais comment et dans quelle mesure ils se produisent, et si nous pouvons les ralentir », explique M. Giovannelli.

Il apparaît donc de plus en plus clairement que l’activité microbienne ne s’arrête pas en hiver, bien au contraire. « Le changement climatique qui se produit dans l’Arctique a ses effets les plus évidents en hiver. Au cours des 25 dernières années, la température hivernale à Ny-Alesund a augmenté d’environ 3°C par décennie, alors que la température globale a augmenté d’un peu plus d’un degré au cours du dernier siècle et demi, une tendance également confirmée par notre Climate Tower, active depuis 2010 », conclut Mauro Mazzola (CNR-ISP), directeur de la station. Telle une tour de guet dans la région polaire, le travail de la base internationale de Ny-Alesund permet d’attirer l’attention sur ce qui se passe dans le Grand Nord.

Jacopo Pasotti, PolarJournal

http://www.jacopopasotti.com/

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