Sermilik – La station polaire autrichienne au Groenland oriental | Polarjournal
Le Tegetthoff dans la glace. Anonyme d’après Wilhelm Burger, Comte Hans Wilczek, 1898. Extrait de « Die Weite Des Eises“ (que pourrait traduire par « L’immensité des glaces », NDT), Arctique et Alpes 1860 à nos jours. Publié par Monika Faber, éditions Hatje Cantz, Albertina, 2008.

L’intérêt de l’Autriche pour les régions polaires se justifie aujourd’hui par la grande pertinence des régions polaires pour le climat de la Terre, et par la responsabilité globale de tous les États de comprendre et de limiter le changement climatique. D’un point de vue historique, cet intérêt est également étroitement lié au recensement et à la mesure scientifiques de la neige et de la glace dans les Alpes dans le contexte du climat changeant, pour lesquels des chercheurs comme par exemple Friedrich Simony ou Julius Hann ont posé les jalons de la recherche.

Malgré sa situation au cœur de l’Europe centrale, l’Autriche a plus de cent cinquante ans d’histoire de recherche polaire. Le comte Wilczek, principal sponsor des expéditions polaires, et Karl Koldewey, capitaine et explorateur polaire allemand qui a emmené des Autrichiens lors de la « Deuxième expédition allemande au pôle Nord en 1869/70 », ont joué un rôle important. Grâce à la participation de Julius Payer, lieutenant de la monarchie austro-hongroise, il a été possible pour la première fois de dresser un relevé topographique de la côte nord-est du Groenland, et de donner à de nombreux éléments marquant le paysage des noms importants pour l’Autriche : Kejser Franz Josef Fjord, Tyrolerfjord et Pasterze en sont quelques exemples. La contribution la plus marquante de l’Autriche à la recherche polaire est sans aucun doute la découverte de l’archipel François-Joseph dans l’Arctique russe par Julius Payer et Carl von Weyprecht (1872-1874). Lors de la participation à la Première Année Polaire Internationale 1882-1883, initiée par Carl von Weyprecht, des mesures météorologiques et géomagnétiques coordonnées au niveau international ont pu être effectuées pour la première fois dans l’Arctique. La contribution de l’Autriche consistait en des mesures effectuées sur l’île volcanique arctique de Jan Mayen, au sein d’une station polaire financée par le comte Wilczek.

La valeur d’une station polaire

Situation de la station de recherche polaire à l’est du Groenland. Sur la côte ouest de l’île d’Ammassalik, dans le fjord de Sermilik (carte d’Arcgis.com)

L’intérêt pour un pays de disposer de sa propre station polaire de recherche est multiple. D’une part, s’offre la possibilité de mettre l’accent sur la recherche internationale et d’obtenir une continuité dans la recherche. D’autre part, cela permet d’orienter la formation de la relève scientifique vers la pratique, et de créer également une identification nationale pour la recherche. Par le passé, l’Autriche a effectué plusieurs tentatives de création d’une station polaire et d’ancrage de la recherche polaire. Mais c’est grâce à un sponsoring privé et à l’initiative du directeur de l’APRI, le professeur Wolfgang Schöner (Université de Graz, Institut de géographie et de recherche spatiale), que cette station de recherche polaire a pu être mise en place dans l’est du Groenland, permettant à la recherche polaire autrichienne d’atteindre un nouveau niveau dans le domaine de la recherche polaire internationale permanente. Les efforts pour comprendre en profondeur les changements de la cryosphère arctique et son interaction avec le climat sont une motivation essentielle pour la recherche dans la nouvelle station.

Les années de planification

Le financement de la station de recherche renoue avec des modèles autrichiens anciens : en 2016, Christian Palmers a approché Wolfgang Schöner avec l’idée et l’intérêt de soutenir la recherche polaire autrichienne, et de financer des infrastructures pour la recherche polaire. Ces possibilités ont ouvert de toutes nouvelles perspectives et des évaluations de sites et de partenaires de coopération appropriés ont commencé. Sur la base de l’expérience acquise lors de l’Année polaire internationale 2007/08, l’accent a rapidement été mis sur le Groenland. La région de Qaanaaq (Thulé, nord-ouest du Groenland) a été éliminée en raison des défis logistiques liés à l’accessibilité tout au long de l’année et des coûts élevés qui en découlent. En 2017, des contacts scientifiques avec l’Université de Copenhague ont donné naissance à l’idée de rénover, d’agrandir et de partager la station de recherche de l’Université de Copenhague située sur l’île d’Ammassalik, dans l’est du Groenland, et exploitée depuis plus de 50 ans. Tout est là pour la recherche sur le changement climatique arctique et ses conséquences : des montagnes avec une végétation typiquement adaptée aux conditions environnementales, des rivières alimentées principalement par la neige et les glaciers, des glaciers qui vêlent à l’avant de l’inlandsis, le grand fjord Sermilik relié à l’océan Atlantique ouvert et bien plus encore. Mais il y a aussi des Groenlandais qui vivent à proximité, qui sont concernés par les changements et qui doivent donc être impliqués dans la recherche.

Vue d’un des bâtiments existants de la station depuis la mer. (Copyright W. Schöner)

Le choix de ce site s’est fait grâce à l’assurance d’un financement de 1,25 million d’euros par Christian Palmers, qui a été signé le 3 novembre 2021. Les structures de propriété ont été réglées de telle sorte que les nouveaux bâtiments de la station appartiennent à l’UNI Graz, tandis que les bâtiments existants restent la propriété de l’UNI Copenhague, avec des droits d’utilisation équivalents entre les Universités de Copenhague et de Graz. La nouvelle station devrait ouvrir ses portes à l’automne 2022 et pourra accueillir vingt scientifiques et les équipements de laboratoire correspondants.

Points forts de la recherche

Plan de situation et extension des bâtiments de la station par une nouvelle structure principale. (Copyright : Bureau d’architectes Tegnestuen Winkel)

Conformément à l’accent mis sur la recherche polaire internationale, la recherche à la station sera très interdisciplinaire. Le changement climatique est certainement un point central, les interactions avec la cryosphère, ainsi que les effets sur l’hydrologie et l’écologie devant être étudiés. Mais la recherche avec et pour la population locale est également un objectif et une priorité pour l’avenir. Mais la proximité de la mer permet également d’effectuer des études écologiques en mer. Les petits glaciers situés en bordure de l’inlandsis sont justement idéaux pour étudier les réactions aux changements climatiques, car ils sont beaucoup plus sensibles que l’immense inlandsis. Le temps de l’est du Groenland est connu pour ses vents froids descendants – les pitteraqs – causés par la différence de température entre l’inlandsis froid situé en altitude et l’eau de mer plus chaude. Les dépressions au-dessus de l’Atlantique peuvent donner une impulsion supplémentaire aux vents descendants et provoquer des souffles énormes, estimés jusqu’à 320 km/h. Les vents descendants peuvent également être provoqués par des vents plus forts. Cela nécessite une planification et une conception appropriées des bâtiments de la station.

« L’emplacement de la station de Sermilik est idéal pour une recherche polaire globale : des glaciers à l’avant de l’inlandsis, le grand fjord de Sermilik relié à l’océan Atlantique ouvert et des séries de mesures de longue date sur les glaciers, qui peuvent être utilisées par les chercheurs autrichiens pour continuer, servent à la recherche sur la cryosphère et la population groenlandaise locale peut être impliquée dans toutes les tâches de recherche ».

Professeur universitaire Dr.rer.nat. Wolfgang Schöner, directeur de l’APRI

La mise en œuvre

Le nouveau bâtiment sera construit en bois de manière traditionnelle. Les travaux de construction sont actuellement en cours et devraient être achevés à la fin de l’été 2022. Le coût de cette nouvelle construction, ainsi que les transformations des bâtiments existants, s’élève à environ 1,25 million d’euros. Ce chiffre tient déjà compte de l’augmentation d’environ 25% du prix du bois et des autres matériaux, augmentation due au Covid. Dans l’esprit d’une recherche moderne, la population locale ne doit pas seulement être impliquée dans les projets de recherche, mais aussi pour la construction et l’entretien de la station. Bien que l’essentiel de la recherche doit se dérouler en été, il sera possible d’exploiter la station toute l’année, ce qui ouvrira de nouvelles possibilités de recherche, telles que des études sur les modifications du manteau neigeux et les échanges d’énergie avec l’atmosphère qui y sont liés. L’équipement scientifique permettra de réaliser des travaux simples d’hydrologie et de géomorphologie en laboratoire humide – avec raccordement à l’eau – et en laboratoire sec directement sur place. L’approvisionnement en énergie est conçu selon des critères écologiques des plus stricts. Des panneaux solaires permettront à la station d’être autonome en énergie électrique, surtout pendant les mois d’été. En hiver et par temps couvert, un générateur de 60 kW et une unité de secours sont disponibles et seront alimentés par des carburants neutres en CO2.

Dans le bâtiment d’atelier séparé, des possibilités de réparation pour les appareils, ainsi que les scooters des neiges et les bateaux seront aménagées. Dans une phase ultérieure d’extension, il est envisagé d’acquérir un navire de recherche afin de permettre des études dans le domaine de la biologie marine. Cela ouvre de vastes activités de recherche pour déjà deux des trois disciplines de l’APRI – la cryosphère et l’écologie – et permettra également aux étudiants d’Autriche d’accéder à des voyages de recherche. En impliquant la population locale, le troisième axe de recherche sur les systèmes sociaux et culturels peut également apporter une contribution à la recherche polaire.

L’auteur : Le Dr Christoph Ruhsam est un photographe paysagiste passionné qui s’est spécialisé depuis des décennies dans l’Arctique et la cryosphère. En plus de ses fonctions dans une entreprise informatique, il est responsable des médias de l’Institut autrichien de recherche polaire (APRI).

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