L’Antarctique est considérée comme l’une des dernières régions intactes et sauvages de la planète. Cela a attiré de plus en plus de personnes sur le continent au cours des dernières décennies. Ce qui soulève régulièrement la question de l’impact de la présence humaine, notamment en matière de pollution. Une étude menée par des chercheurs britanniques et allemands montre aujourd’hui qu’il n’est pas nécessaire que des personnes soient physiquement présentes pour que des polluants chimiques trouvent leur chemin vers l’Antarctique.
Dans des échantillons de névé, c’est-à-dire de neige comprimée sur le chemin de la formation de la glace, des chercheurs du Lancaster Environment Center, en collaboration avec le British Antarctic Survey BAS et le centre Helmholtz HEREON, ont trouvé certains polluants synthétiques persistants, appelés SPFA (substances perfluoroalkyliques), en différentes quantités. Parmi les polluants découverts figure le APFO (acide perfluorooctanoïque), particulièrement nocif, qui est utilisé dans la fabrication de surfaces hydrofuges et oléofuges et qui peut affecter le système immunitaire et la capacité de reproduction. Le Dr Ralf Ebinghaus, directeur de l’Institut de chimie environnementale de l’espace côtier au centre Helmholtz HEREON, déclare à ce sujet : « Cette découverte de nos collègues est remarquable et documente clairement le fait que nous avons affaire à des « forever chemicals ». C’est aussi la première fois que ce produit chimique est découvert dans le profil profond d’un noyau de névé à l’intérieur de l’Antarctique ». L’étude a été publiée dans la revue Environmental Science and Technology dans sa dernière édition.
Les polluants ont été mesurés dans des échantillons prélevés lors d’une expédition menée en 2017 dans la région de la Terre de la Reine-Maude, dans l’est de l’Antarctique. Le névé provient d’échantillons de forage qui couvrent une période allant de 1957 à 2017, écrit l’équipe dans son travail. A l’aide de différentes analyses, les chercheurs ont réussi à mettre en évidence les différents SPFA. En comparaison avec d’autres sites, les concentrations de polluants se situaient au même niveau ou légèrement en-dessous et oscillaient entre 137 et 4’711 picogrammes par litre d’équivalent d’eau de fonte. L’acide perfluorobutanoïque à chaîne courte, utilisé dans l’industrie après l’interdiction des PFOA plus nocifs, a représenté la plus grande part. Mais il s’est avéré que les quantités de la plupart de ces substances n’avaient cessé et continuaient même parfois d’augmenter au fil du temps. « Nous avons observé (…) une accumulation croissante de ACPF dans la neige, avec un pic des flux chimiques pour le perfluorooctanoate (PFOA, C8) et le nonanoate (PFNA, C9) entre 2009 et 2013, et peu de signes de diminution de ces substances chimiques, bien que la production de ces substances ait soi-disant été limitée récemment au niveau mondial », écrivent les chercheurs dans leur travail.
Concernant l’origine des polluants, les auteurs écrivent que, d’après les résultats d’analyse, ils ne sont pas arrivés là par les stations et les activités humaines dans cette région isolée, mais par des processus de transport hémisphérique. Les sites de production émettent des précurseurs de polluants qui sont ensuite transportés jusqu’en Antarctique par des processus atmosphériques. Le fait qu’il s’agisse de polluants à chaîne courte ou à chaîne longue joue un rôle. Plus la chaîne est courte, plus le transport va loin à l’intérieur du continent. Souvent, ils se déposent d’abord sur la côte grâce aux chutes de neige plus fréquentes, puis se retrouvent à nouveau dans l’air et « rebondissent » ainsi toujours plus loin vers l’intérieur. « Le transport vers l’Antarctique de composés précurseurs (8:2-FTOA) via l’atmosphère semble être la voie la plus probable », explique le Dr Ebinghaus à propos des processus de transport. « La voie de transport océanique est lente et ne s’étend pas non plus aussi loin à l’intérieur ».
Outre le transport, le fait que, parmi les polluants découverts, le PFOA nocif n’a toujours pas diminué, malgré la décision globale d’arrêter la production, est particulièrement inquiétant. Cela indique soit qu’une forte concentration de précurseurs circule encore dans l’atmosphère, soit que tous ne respectent pas les protocoles de protection de l’environnement tels que le Protocole de Montréal ou le Protocole de Stockholm, qui ont été établis notamment pour protéger l’Antarctique et ratifiés par la plupart des États. Quoi qu’il en soit, l’équipe de recherche est certaine que les quantités de ces polluants à longue durée de vie vont continuer à augmenter à l’avenir. « Ces substances deviennent encore plus durables dans des conditions polaires et sont alors effectivement des « forever chemicals ». Elles sont donc certes emprisonnées pour un certain temps. Mais dans certaines circonstances, comme de grands processus de fonte, elles peuvent être relâchées à nouveau dans l’environnement et nous occuperont donc encore longtemps ».
Dr. Michael Wenger, PolarJournal
En savoir plus sur le sujet :