Le bois flotté était et est toujours la principale ressource pour les habitations (sub)arctiques. Sans le bois flotté qui s’est accumulé sur les plages islandaises, la colonisation durable de l’île, qui a débuté au 9e siècle avec les Vikings, n’aurait pas été possible. Les troncs échoués ont longtemps servi aux colons pour construire des bâtiments et des bateaux, pour lesquels les arbres indigènes étaient bien trop petits et trop rares. Selon une nouvelle étude publiée dans la revue Global and Planetary Change, une grande partie du bois flotté en Islande provient de Sibérie, de l’autre côté de l’océan Arctique. Aujourd’hui encore, le bois flotté a une grande valeur culturelle pour les Islandais. Le changement climatique pourrait toutefois mettre un terme aux « livraisons » de bois flotté vers l’Islande, selon l’étude.
La glace de mer est pratiquement le seul moyen de transport du bois flotté en Arctique. Ce n’est qu’à l’aide de ce « tapis roulant » que les troncs d’arbres abattus ou tombés naturellement dans la région de la Sibérie centrale russe, ont pu parcourir des milliers de kilomètres à travers l’océan Arctique, jusqu’aux îles et aux côtes situées à l’autre extrêmité. En effet, le bois ne flotte que pendant une dizaine de mois et commence à couler dès qu’il est gorgé d’eau. En Arctique, il gèle dans la glace de mer, ne peut donc pas se gorger d’eau et n’est libéré, éventuellement qu’après quelques années, avec la fonte de la glace de mer, pour venir s’échouer sur les côtes sous forme de bois flotté.
Pour la colonisation et l’expansion des hommes du Nord, le bois flotté sur les côtes islandaises était d’une importance cruciale et constitue une partie importante de l’histoire islandaise. « C’est une question culturelle », explique Ólafur Eggertsson, un scientifique du service islandais des forêts et co-auteur de l’étude. « Sans le bois flotté, les habitants de l’Islande n’auraient tout simplement pas survécu ».
L’apport de bois flotté en Islande, mais aussi au Groenland et au Svalbard, pourrait toutefois s’arrêter au cours des prochaines décennies. Selon l’étude, un déclin brutal du bois flotté s’est déjà amorcé dans les années 1980 et les simulations de perte de glace de mer montrent que d’ici 2060, plus aucun bois flotté n’arrivera en Islande.
« Le message de l’étude est conforme aux attentes et a le mérite de fournir une indication très claire de ce que la fonte de la glace de mer signifie pour le transport de ces matériaux en Arctique », a déclaré Marc Macias-Fauria, un écologiste de l’Université d’Oxford qui se concentre sur les environnements froids et qui n’a pas participé à l’étude.
L’équipe de chercheurs a également collecté 289 échantillons de bois flotté le long de la côte nord-est de l’Islande et a identifié au microscope les espèces d’arbres : pin, mélèze et épicéa. Ils ont comparé les anneaux de croissance avec les enregistrements des anneaux de croissance eurasiens et ont constaté que 73 % des échantillons correspondaient à des arbres de Sibérie.
Les anneaux de croissance ont également révélé le déclin du transport de bois flotté vers l’Islande au cours des dernières décennies. 80 % des échantillons présentaient des cernes datant de 1922 à 1976, tandis que 14 arbres ont cessé de croître dans les années 1980. Seuls trois échantillons étaient postérieurs à cette date. L’équipe de chercheurs attribue ce phénomène à la disparition de la glace de mer.
L’analyse a également révélé que 83 % des échantillons provenaient d’arbres qui avaient été abattus. Pour les 17% restants, des parties des racines étaient encore intactes, ce qui indique qu’ils sont probablement tombées naturellement avant d’être transportés par les rivières sibériennes dans l’océan Arctique.
Pour les Islandais, le bois flotté n’est certes plus une source de bois aussi importante qu’auparavant, mais ils l’utilisent toujours pour les bâtiments, les sculptures, pour restaurer les vieilles églises et comme source de revenus, selon Eggertsson.
La perte du bois flotté entraînerait donc la disparition d’une partie importante de l’histoire et de la culture islandaises.
Julia Hager, PolarJournal