Les politiciens groenlandais demandent une limitation du nombre de croisiéristes | Polarjournal
Ilulissat, dans l’ouest du Groenland, est l’un des endroits les plus visités de l’île. La baie de Disko, avec ses gigantesques icebergs, n’en est pas la moindre des raisons. Mais les infrastructures, comme le port (photo), ne peuvent pas suivre le rythme de l’augmentation des chiffres. Image : Michael Wenger

Le tourisme au Groenland, en particulier le tourisme de croisière, était devenu un « big business » au cours des années précédent la pandémie. En effet, de plus en plus de personnes ont ressenti le besoin de visiter la plus grande île du monde. Ce qui a été constaté après la réouverture du Groenland cette année. Mais tout le monde ne voit pas cette évolution d’un oeil réjoui. Deux chefs de districts très fréquentés estiment qu’il y a plus d’aspects négatifs que positifs et demandent au gouvernement l’introduction d’un plafond.

Pas plus de 1’000 passagers de bateaux par jour, telle est la principale revendication que le chef du district d’Avannaata Kommunia, dont le chef-lieu est Ilulissat, Palle Jerimiassen, a exprimée devant les médias il y a quelques jours. Il a reçu le soutien de la cheffe du district de Kujalleq, Stine Egede, depuis le sud profond du pays. Elle est également d’avis qu’il est urgent de plafonner le nombre de visites par jour de ces touristes qui se rendent sur les sites en bateau. Tous deux ont adressé leurs demandes directement au gouvernement groenlandais et souhaitent que cela soit mis en place dès l’année prochaine. Elle évoque un atelier organisé il y a deux ans, à l’issue duquel toutes les parties prenantes avaient rédigé une déclaration d’intention visant à instaurer une limite de capacité. Mais depuis, rien n’a été fait dans ce sens.

Le Groenland est divisé en cinq districts administratifs, chacun étant dirigé par une sorte de maire. Les maires siègent généralement dans la plus grande localité du district et sont élus normalement. Palle Jerimiassen est à la tête du district d’Avannaata depuis 2017 et Stine Egede à celle du district de Kujalleq depuis 2021. Carte : Wikipedia, images : Sites web d’Avannaata et d’Inatsisartut

Palle Jerimiassen, le chef du district d’Ilulissat, explique dans un entretien accordé à Sermitsiaqqu’il ne veut pas d’un tourisme de masse. Son argumentaire s’appuie, d’une part, sur le fait que cela ruine l’expérience des visiteurs et que, d’autre part, un lieu comme Ilulissat, avec son infrastructure limitée, est tellement chargée que la population locale en souffre. Il ne voit pas non plus d’avantage économique à un trop grand nombre de visiteurs. « Les bateaux paient certes une taxe », explique-t-il dans l’interview. « Mais cela va directement au gouvernement. Et comme nous sommes souvent le dernier lieu de visite des bateaux, les visiteurs ont déjà acheté tout ce qu’ils voulaient et ne dépensent presque plus d’argent chez nous ». De son côté, Stine Egede, qui dirige depuis l’année dernière l’administration du district le plus au sud du Groenland, met en avant des arguments similaires.Elle ajoute que, cette année en particulier, les bateaux de croisière n’ont parfois pas respecté les accords, qu’ils ont changé à la dernière minute les plans convenus avec les sites et sont partis ailleurs. Ou que, dans d’autres cas, ils sont tout simplement arrivés sur place sans prévenir.

Le tourisme au Groenland a redémarré cette année après deux ans de pause et a tout de suite atteint de nouveaux chiffres record. En effet, de nombreuses compagnies de croisières, notamment celles spécialisées dans les voyages d’expédition, ont dû modifier leurs horaires en raison de la guerre en Ukraine et des sanctions qui ont suivi à l’encontre de la Russie. En lieu et place de l’Arctique russe, ce sont le Svalbard, l’Islande et surtout le Groenland qui ont été visités. A la mi-mai, 463 visites de bateaux ont été enregistrées au Groenland et à Ilulissat, avec sa baie de Disko et ses icebergs. Certains jours, le nombre de visiteurs a dépassé jusqu’à 50 pourcent le nombre d’habitants, qui s’élève à peine à 4’670. C’est certes très bien que les gens veuillent visiter le Groenland, mais s’il vous plaît, pas tous en même temps. Cette explosion du nombre de visiteurs n’est plus durable, entraîne une augmentation massive des coûts pour la commune et menace la nature, estime Palle Jerimiassen.

Pour mieux couvrir les coûts financiers, ce dernier demande non seulement un plafonnement du nombre de visiteurs, mais aussi une augmentation des taxes et des frais liés au tourisme de croisière. Même avis pour Stine Egede, qui souhaite utiliser l’argent pour financer une meilleure protection des sites existants, comme les sites de l’UNESCO, les ruines vikings et les localités. Elle estime également que les compagnies de croisières et les autorités locales doivent mieux se coordonner. Il n’est pas possible que plusieurs bateaux de croisière veuillent faire escale le même jour dans des lieux dont l’infrastructure n’est pas du tout conçue pour accueillir autant de bateaux et de clients.

La deuxième plus grande ville du Groenland est Sisimiut, avec plus de 5 500 habitants. Elle est également un lieu de débarquement apprécié des bateaux de croisière. Mais ici, on ne partage pas le même avis que son voisin du nord, Avannaata. Photo d’archives : Michael Wenger

Les critiques et les demandes de Palle Jerimiassen et de Stine Egede ont certes été prises en compte par d’autres communes. Mais ils ne considèrent pas cela comme un problème. Selon une demande du journal Sermitsiaq auprès de l’administration du plus grand district, Sermersooq, dans la zone d’influence duquel se trouve également la capitale Nuuk, le nombre de touristes de croisière ne serait pas une difficulté. A Nuuk, plus de 31’000 visiteurs étaient inscrits pour cet été (le chiffre réel ne sera publié que plus tard, ndlr) et on attend même plus de 38’000 visiteurs pour l’année prochaine, soit presque quatre fois plus de personnes que d’habitants. Mais Nuuk possède également le plus grand port du pays, ce qui lui confère une capacité supérieure à d’autres endroits, comme par exemple Sisimiut, la deuxième ville du Groenland, ou Ilulissat, la troisième ville.

Même au sein du district d’Avannaata, les opinions divergent entre les partis. En effet, alors que Palle Jerimiassen, membre du Siumut, est plutôt de gauche et vert, des membres de partis conservateurs demandent la dissolution du statut de site protégé par l’UNESCO d’Ilulissat, car ils estiment qu’il constitue un obstacle au développement économique. Anthon Frederiksen, politicien local dans le district, avait déclaré dans une interview qu’il est nécessaire de travailler avec tous les partis sauf le Siumut sur cette question.

Pour l’heure, on ne sait pas encore si les revendications de Palle Jerimiassen et Stine Egede seront entendues par le gouvernement. Mais la prochaine saison arctique est déjà à nos portes et les compagnies maritimes sont en train de se préparer. Si cette demande obtient effectivement une majorité favorable, les choses risquent de se compliquer pour le tourisme de croisière en Arctique. Et beaucoup de compagnies n’ont plus beaucoup de marge de manœuvre, tant sur le plan géographique qu’économique.

Dr. Michael Wenger, PolarJournal

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