La grande banquise de l’Antarctique pourrait se dissoudre plus rapidement | Polarjournal
Le glacier de l’île du Pin et l’inlandsis qui le précède font l’objet d’études scientifiques depuis des années. Si l’inlandsis disparaît, les masses de glace situées derrière lui s’écouleront sans frein dans l’océan Austral. Ce qui devrait faire monter le niveau de la mer de près d’un demi-mètre. Image : NASA

À première vue, les calottes glaciaires de l’Antarctique semblent encore très stables. Mais en y regardant de plus près (et en prenant des mesures), d’énormes fissures apparaissent sur la façade. L’une des régions qui changent le plus rapidement est l’inlandsis de l’île du Pin, qui retient comme un bouchon le glacier du même nom. Depuis longtemps déjà, des équipes de chercheurs craignent que la banquise ne se dissolve lentement. Or, une étude montre que cela pourrait arriver plus rapidement qu’on ne le pensait jusqu’à présent.

La combinaison d’une fonte plus importante et du vêlage (formation) d’icebergs a été responsable du recul de la banquise au cours des dix dernières années, ce que les scientifiques savaient déjà. Mais une étude menée par des chercheurs britanniques, sous la direction du Dr Alex Bradley du British Antarctic Survey, montre que ces deux facteurs combinés pourraient avoir une influence beaucoup plus importante et accélérer l’effondrement de la calotte glaciaire. « L’étude montre que l’interaction entre le vêlage et la fonte devrait accentuer le déclin de l’inlandsis de l’île du Pin, dont nous savions déjà qu’il était menacé », explique le Dr Bradley à propos des résultats de l’étude. L’étude a été publiée dans la revue spécialisée Journal of Geophysical Research : Oceans.

La vidéo de l’ESA montre comment, en peu de temps, d’énormes fissures s’étaient formées sur le front du plateau continental 2019. Celles-ci étaient le résultat de processus de fonte sous la glace, poussés par des eaux profondes plus chaudes qui remontaient sous la plate-forme. Ce qui accélère la formation d’icebergs et la désintégration du plateau continental. Vidéo de présentation : ESA

Il était clair depuis quelques années déjà que des masses d’eau légèrement plus chaudes provenant du nord et de l’ouest étaient régulièrement poussées vers le haut sous l’inlandsis de l’île du Pin Les températures à peine plus élevées de ces masses d’eau suffisent déjà à faire fondre la glace par le bas et à affaiblir ainsi l’inlandsis. Il en résulte des ruptures (vêlages) et la formation d’icebergs tabulaires. Ce que Bradley et ses collègues ont découvert, c’est que ces vêlages ont à leur tour une influence sur les taux de fonte en amincissant davantage la banquise.

La zone sous-marine sous l’inlandsis est profonde de plus de 1 000 mètres (colorations bleues). Mais à l’arrière, une crête de colline (ligne pointillée) avec une ouverture qui agit comme un entonnoir et par laquelle des eaux profondes plus chaudes s’écoulent vers l’arrière, se trouve contre la zone d’appui du plateau continental. Ici, la fonte est plus ou moins importante et entraîne des vêlages plus en avant, qui à leur tour affaiblissent la plate-forme et accélèrent la fonte. Graphique : Bradley et al (2022) J Geophys Res

Selon l’équipe de recherche, cela s’explique par la présence d’une dorsale sous-marine qui sépare la partie arrière de l’inlandsis du bord sous l’eau, formant une sorte de poche ou de cavité qui s’étend jusqu’à la zone d’appui, la partie de l’inlandsis qui repose sur le fond marin. Comme la dorsale présente un creux, cela agit comme un entonnoir par lequel les eaux profondes plus chaudes peuvent s’écouler vers l’arrière et influencer négativement le plateau à sa base. Cela entraîne des vêlages massifs à l’avant. Les calculs de modélisation effectués par Bradley et son équipe montrent maintenant que ces vêlages entraînent à leur tour des taux de fusion plus élevés. Les chercheurs soupçonnent une boucle de rétroaction qui n’était pas connue jusqu’à présent. Cela devrait permettre à la calotte glaciaire d’atteindre son point d’effondrement beaucoup plus rapidement que ce que l’on pensait jusqu’à présent. La conséquence serait un écoulement sans entrave du glacier de l’île du Pin, qui regroupe environ 25 pourcent de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental. Si cette masse de glace se retrouve dans la mer, le niveau de la mer augmentera globalement d’un demi-mètre, un scénario dévastateur pour les régions côtières situées en contrebas.

Les parois de la plate-forme de glace de l’île du Pin s’élèvent jusqu’à 60 mètres au-dessus de l’eau. Pourtant, à de nombreux endroits, des ouvertures apparaissent dans le mur de glace. La glace y est alors vulnérable à d’autres vêlages. Image : Thomas Ronge, AWI

Les nouveaux résultats de l’étude menée par l’équipe de recherche du Dr Bradley pourraient également expliquer pourquoi le front de l’inlandsis de l’île du Pin s’est retiré aussi rapidement au cours des dix dernières années. Depuis 2009, la banquise a perdu une surface équivalente à l’agglomération de Londres. D’après les résultats de l’étude, ce processus devrait encore s’accélérer. « Nos simulations indiquent que le taux de fonte présente une dépendance presque linéaire à la distance dont le front de glace se retire lors de nouveaux épisodes de vêlage », écrivent les auteurs dans leur travail. Cela signifie que plus l’inlandsis perd de la surface à cause des débris de glace, plus le processus de fonte par le bas s’accélère.

Dr. Michael Wenger, PolarJournal

Lien vers l’étude : Bradley et al (2022) J Geophys Res Oceans 127 The Influence of Pine Island Ice Shelf Calving on Basal Melting ; https://doi.org/10.1029/2022JC018621

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