Au début de l’année prochaine, l’Union européenne prévoit d’ouvrir sa version d’un consulat* à Nuuk. L’ambassadeur du Canada (photo ci-dessous) a déclaré que son pays pourrait ouvrir un consulat prochainement. Ils rejoindraient ainsi l’Amérique, qui dispose d’un consulat à Nuuk depuis 2020, et l’Islande, dont un diplomate est en poste depuis 2013. À mesure que l’importance du Groenland pour la sécurité internationale s’accroît, et que son potentiel d’approvisionnement en énergie et en matières premières nécessaires à l’économie moderne devient plus évident, d’autres devraient suivre. Leur travail, en langage diplomatique, consistera à promouvoir la coopération entre leur pays et le Groenland, mais il leur faudra parfois parler avec des Danois pour accomplir leur tâche. Trouver à qui parler de quoi pourrait constituer leur plus grand défi.
Selon Ulrik Pram Gad, de Diis, un groupe de réflexion danois sur la politique étrangère, cette situation s’explique par le fait que Nuuk est autorisé à mener une politique étrangère qui lui est propre, mais qu’elle n’est pas toujours d’accord avec Copenhague pour savoir où s’arrête son autorité et où commence celle de Copenhague. La règle générale a longtemps été que Nuuk est autorisé à parler avec les puissances étrangères des domaines de gouvernement qui ont été transférés de Copenhague, et que Copenhague est seul responsable de la politique étrangère et de la défense, même si les responsables groenlandais sont de plus en plus impliqués dans les discussions sur ces questions lorsqu’elles s’appliquent au Groenland. Toutefois, et de plus en plus, écrit M. Gad dans une récente note d’orientation, Nuuk remet en question cette règle.
« Même si les Groenlandais et les Danois ont partagé une zone grise constitutionnelle pendant des décennies, cette zone s’est aujourd’hui élargie car les Danois soutiennent que la politique étrangère et de sécurité appartient en dernier ressort à Copenhague, tandis que les Groenlandais estiment que cela reviendrait à vider leur autonomie de son sens, car la position stratégique de leur île donne à de nombreuses questions intérieures un aspect sécuritaire. »
Selon un fonctionnaire danois interrogé par M. Gad, Copenhague a tendance à faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit de donner à Nuuk un siège à la table des négociations – « par souci de transparence, nous les invitons même là où ils n’ont rien à faire », aurait déclaré le fonctionnaire. Aucune des parties n’est totalement satisfaite de la façon dont les choses fonctionnent, mais toutes deux ont appris à l’utiliser à leur avantage.
« Les autorités danoises trouvent parfois commode que le Groenland envoie ses propres ballons d’essai, plutôt que de les maîtriser avant qu’ils ne soient abattus, afin d’apprendre au Groenland les réactions du monde et vice versa. À d’autres moments, ces manœuvres sont organisées en coordination entre Nuuk et Copenhague pour renforcer le pouvoir de négociation. »
Pour les diplomates étrangers, naviguer dans une telle situation nécessite ce que l’un d’entre eux a décrit comme des « lunettes de protection permettant de voir à travers le brouillard ». Malgré cela, les faux pas diplomatiques sont, selon M. Gad, monnaie courante. Il constate que l’accueil réservé aux erreurs par les décideurs de Nuuk dépend de la nationalité de la personne qui les commet. « Certaines puissances étrangères sont plus libres que d’autres de dépasser les lignes rouges par des erreurs commises en toute bonne foi ou en se cachant derrière une ignorance feinte. » Cela, au moins, sera un langage familier pour les diplomates nouvellement arrivés.
*Nous savons que l’UE n’est pas un État et, en tant que tel, n’a pas d' »ambassades » ni de « consulats ». Toutefois, ses bureaux de représentation à l’étranger remplissent une fonction similaire à ces types de bureaux. Par souci de simplicité linguistique, nous avons donc choisi d’utiliser ces termes pour désigner leurs missions diplomatiques.
Kevin McGwin, Polar Journal
Image en vedette : Département d’État / Ron Przysucha
En savoir plus sur ce sujet