La vitesse à laquelle le niveau des mers augmentera à l’avenir en raison de la fonte des calottes glaciaires n’est toujours pas totalement élucidée. Cela s’explique notamment par le fait que leur dynamique est encore trop peu connue. Une équipe de recherche, dirigée par l’Institut Alfred Wegener, a donc mesuré avec précision, à l’aide de systèmes radar à haute résolution, deux courants de glace au Groenland qui transportent la glace de l’intérieur de la calotte glaciaire vers son bord, comme sur un tapis roulant.
Depuis 1900, la calotte glaciaire du Groenland a déjà contribué à hauteur d’environ 40 millimètres à l’élévation du niveau de la mer. La vitesse à laquelle le niveau des mers augmentera à l’avenir dépendra entre autres fortement du dynamisme ou de la stabilité de la calotte glaciaire. Outre l’eau de fonte qui s’écoule en surface et sous la glace, elle perd de la masse par le biais des courants de glace solides. Là où la glace a déjà fondu sur le bord de la calotte glaciaire, il est facile de reconstituer le cours d’anciens courants glaciaires. Cependant, on sait encore peu de choses sur l’activité des courants glaciaires passés à l’intérieur de l’inlandsis.
Pour pouvoir cartographier ces flux de glace paléo, il faut des techniques de mesure ultramodernes, comme des systèmes radar à haute résolution capables de visualiser des structures à plusieurs milliers de mètres de profondeur à l’intérieur de la calotte glaciaire. Des chercheurs de l’Institut Alfred Wegener, en coopération avec le professeur Paul Bons de l’Université de Tübingen, ont pu reconstituer des flux de glace passés à partir de ces images.
« Grâce à nos mesures radar de pénétration de la glace, nous pouvons montrer à quelle vitesse le système de transport de la glace de la calotte glaciaire du Groenland se reconfigure. De grands courants de glace peuvent se ‘déconnecter’ en l’espace de quelques milliers ou même de plusieurs centaines d’années et se reformer dans d’autres régions à une vitesse similaire. Le fait qu’ils changent à cette vitesse était totalement inconnu jusqu’à présent », explique le Dr Steven Franke, glaciologue à l’AWI et auteur principal de l’étude.
Pour différents scénarios climatiques futurs, outre la fonte, l’évacuation de la glace par écoulement à l’état solide doit être davantage prise en considération. Cette composante dynamique est essentielle pour prévoir la contribution de la calotte glaciaire du Groenland à l’élévation du niveau de la mer. En raison du manque d’observation des courants glaciaires instables jusqu’à présent, ils ne sont pas pris en compte dans les modèles actuels de calotte glaciaire. La vitesse d’écoulement de la glace, rendue visible par les mesures radar, fournit désormais des indications sur l’évolution de cette dynamique dans le temps et dans l’espace.
Dans le cadre de ce projet, l’équipe de recherche a étudié deux courants de glace dans le nord-est du Groenland, où l’on observe aujourd’hui des vitesses d’écoulement de la glace très faibles. Les données proviennent de campagnes de vol menées par l’avion de recherche Polar 6 de l’AWI et par l’opération Ice Bridge de la NASA. Les chercheurs ont ainsi découvert deux paléo-courants de glace qui étaient actifs dans le passé et qui sont actuellement cachés sous plusieurs centaines de mètres de glace. D’après les analyses, ces courants de glace étaient actifs jusqu’à l’Holocène (moins de 11 700 ans) et s’étendaient loin dans l’inlandsis central du nord-est du Groenland.
« Les signatures radar de l’un des deux courants de glace paléo, qui nous ont permis de reconstruire l’activité passée des courants de glace, sont étonnamment similaires à celles de l’énorme North East Greenland Ice Stream (NEGIS), actif de nos jours », explique le Dr Daniela Jansen, glaciologue à l’AWI et responsable du projet sur les courants de glace passés.
Cette découverte pourrait permettre de tirer des conclusions sur le comportement futur du NEGIS. Les nouvelles observations permettent aux chercheurs de mieux comprendre les mécanismes qui génèrent et influencent les courants de glace. À l’avenir, ils pourront être mieux représentés dans des modèles qui prédisent comment les calottes glaciaires de la Terre réagissent au réchauffement climatique.
Julia Hager, PolarJournal
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