Les manchots Adélie passent-ils le test du miroir ? | Polarjournal
Les manchots Adélie sont des animaux très sociaux qui, dans les conditions extrêmes de l’Antarctique, font preuve d’un comportement coopératif tout en conservant leur individualité. Photo : Julia Hager

On sait que plusieurs espèces animales, dont les chimpanzés, les dauphins, les éléphants et certaines espèces d’oiseaux, se reconnaissent dans un miroir. Mais les manchots le peuvent-ils aussi ? Une équipe de chercheurs indiens a réalisé plusieurs expériences de miroir sur des manchots Adélie en liberté, afin de déterminer s’ils montraient des signes de perception de soi.

Le fameux test du miroir a été inventé dans les années 1970 par Gordon Gallup, un psychologue américain. Pour ce faire, les chercheurs apposent une tache colorée sur le front de l’animal, qui ne peut la voir que dans son propre reflet, et le confrontent à un miroir. Si l’animal touche la tache ou essaie de l’enlever, il sait qu’il s’agit de son reflet. Il est donc conscient de lui-même.

Dans cette actuelle étude, les chercheurs ont réalisé différentes expériences sur des manchots Adélie vivant en liberté sur l’île Svenner, dans l’est de l’Antarctique. Sans avoir entraîné les animaux au préalable, l’équipe a commencé par installer un miroir sur l’une des voies de déplacement des manchots, ce qui a attiré l’attention de nombreux animaux. Dans toutes les expériences de ce test de groupe, des individus ou des groupes de manchots sont restés devant le miroir entre 11 et 16 minutes. Cependant, aucun des manchots n’a essayé de toucher son reflet ou de regarder derrière le miroir.

Un manchot Adélie observe attentivement sa propre image pendant un test de comportement de groupe sur l’île Svenner, dans l’est de l’Antarctique. Photo : Dastidar et al. 2022

Lors des tests individuels, chaque manchot était brièvement séparé de ses congénères par des parois en carton. Dans les deux miroirs placés à l’intérieur, les animaux s’observaient, faisaient des mouvements rapides avec la tête, les ailes ou avec l’ensemble du corps. Pendant toute la durée de l’expérience, les manchots se sont focalisés sur leur reflet dans le miroir, mais sans montrer d’agressivité ni toucher le miroir.

Un manchot Adélie fixant attentivement son image pendant un test de miroir modifié. Photo : Dastidar et al. 2022

Dans un autre test, le miroir était recouvert de papier, de sorte que les manchots ne pouvaient pas voir la tête et le haut du corps, ce qui les amenait à picorer l’autocollant avec leur bec et, selon les auteurs, à tenter éventuellement d’enlever le papier. Une autre explication serait que les manchots étaient énervés parce qu’ils ne pouvaient pas voir les yeux de leur vis-à-vis.

Pour tester la perception de soi, les chercheurs ont placé un bavoir de couleur autour du cou de certains animaux afin de tester leur réaction. À la surprise des auteurs, aucun des manchots n’a essayé de toucher ou d’enlever le bavoir. Au lieu de cela, ils ont continué à se regarder dans le miroir.

Image de gauche : un manchot Adélie picore l’autocollant rond fixé à un miroir pendant un test avec la tête cachée. Image de droite : Un manchot Adélie avec une bavette jaune autour du cou inspecte son reflet dans le miroir pendant un test avec des bavettes colorées. Photos : Dastidar et al. 2022

Bien que les animaux n’aient pas réussi le dernier test décisif, les auteurs affirment que les manchots Adélie ont, dans une faible mesure, un sentiment d’identité personnelle et une conscience subjective de soi. « Nous émettons l’hypothèse qu’il est tout à fait possible que des phénomènes similaires existent chez différentes espèces de manchots, notamment les manchots Adélie, en raison de leur vie sociale complexe dans des colonies communautaires », écrivent-ils dans leur étude.

L’interprétation de l’étude suscite toutefois le débat parmi les spécialistes. « Lorsqu’ils ont donné des bavoirs aux manchots devant le miroir, les oiseaux n’ont pas spécialement porté leur attention sur les bavoirs, ce qui indique qu’ils n’établissent pas de lien entre leur reflet et eux-mêmes », explique Frans de Waal, primatologue à l’université Emory en Géorgie, à New Scientist.

De toute façon, les experts sont sceptiques quant à la pertinence du test du miroir pour déterminer si les animaux réagissent à leur reflet. Beaucoup estiment que cette expérience n’est pas en mesure de prouver s’ils sont conscients ou non de leur propre existence.

Julia Hager, PolarJournal

Lien vers l’étude : Prabir Ghosh Dastidar, Azizuddin Khan, Anindya Sinha. Possible self-awareness in Wild Adélie Penguins Pygoscelis adeliae. bioRxiv 2022.11.04.515260 ; doi : https://doi.org/10.1101/2022.11.04.515260

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