Simuler l’acheminement d’icebergs vers Cape Town | Polarjournal
Les icebergs de forme tabulaire seraient idéals pour le transport parce qu’ils auraient moins de chance de rouler dans l’eau. Image / Michael Wenger

Le remorquage d’icebergs pourrait probablement pallier le manque d’eau douce dans la région aride de Cape Town. Mais il y a trop d’incertitudes pour que cela soit déjà possible. Alan Condron publie de nouveaux résultats sur ce sujet, né dans les années 70.

Pour fournir de l’eau à la ville de Cape Town et satisfaire les besoins de ses habitants pendant 1 an, il faudrait aller chercher avec 3 remorqueurs, un Iceberg de 700 mètres de long et 250 mètres d’épaisseur, au niveau du 50e parallèle sud, estime Alan Condron chercheur à l’Institut Océanographique de Woods Hole des États-Unis d’Amérique. Des résultats publiés ce mois-ci dans la revue Nature.

L’idée d’aller à la rencontre de la glace en Antarctique, pour en exploiter l’eau douce, remonte à la première conférence sur l’utilisation des icebergs de 1977. Le prince d’Arabie Mohammed bin Faisal Al Saud (1937-2017), principal intéressé, disait : « Nous voulons confirmer notre opinion, et essayer de prouver qu’il est possible de remorquer des icebergs de l’Antarctique vers les zones arides ».

Finalement, les projets de transfert des icebergs vers la péninsule Arabique n’ont pas abouti. « L’entrée de la mer Rouge et du golfe d’Oman est trop haut pour accueillir des icebergs qui ont 200 mètres de tirant d’eau », affirme Georges Mougin, en 2011 à TV5Monde, ingénieur spécialisé dans le remorquage d’iceberg. Alan Condron le démontre dans son étude. L’iceberg d’un tel projet devrait mesurer 2 kilomètres de long, 600 mètres d’épaisseur. La puissance motrice pour le déplacer équivaudrait à celle d’une quinzaine de remorqueurs de haute mer. « L’effort n’en vaut probablement pas la peine », confie le chercheur.

« Après l’intense sécheresse de 2018 à Cape Town, je me suis dit que ce serait une bonne idée de se pencher à nouveau sur la question », nous raconte l’océanographe. En 2021, le Forum Mondial de l’Économie inscrit le remorquage d’iceberg dans le top 5 des méthodes pour lutter contre la sécheresse et les stress hydriques. « Nick Sloane est l’ingénieur sud-africain, fameux pour avoir renfloué le Costa Concordia, échoué en méditerranée. Devenu gestionnaire de projets maritimes hors-normes, il s’intéresse de plus en plus, à la question des icebergs pour alimenter Cape Town. C’est aussi ce qui motive ce papier. » explique Alan Condron.

Techniquement cette entreprise est soumise à beaucoup d’inconnus. Des remorqueurs travaillent déjà sur des icebergs pour éviter les collisions avec les plateformes pétrolières. Mais cela n’a jamais été pratiqué sur plusieurs milliers de kilomètres. « Sur de longues distances, les icebergs risquent de se retourner et c’est très dangereux. Mes simulations informatiques n’explorent pas forcément ces questions. » précise-t-il.

La glace fond plus rapidement en hiver

Comprendre si l’entreprise est viable c’est d’abord comprendre à quelle vitesse fond l’iceberg pendant le transport. « Mon modèle simule la circulation océanique autour du globe, des profondeurs à la surface. J’y ajoute un iceberg qui se déplace, comme s’il était tracté à une allure constante de 0,5 ou 1 nœud [1 ou 2 kilomètres heures, NDLR]. Puis je simule la fonte de la glace. Elle est altérée par les vagues, le soleil et la température de l’eau. Sous la surface, un courant de convection s’active autour de la glace et accélère sa fonte. » explique-t-il.

Alan Condron démarre son expérimentation au sud de l’île de Gough. Le besoin d’une base terrestre pour la logistique lui semble important. La route vers Cape Town est longue de 2 500 kilomètres. Selon les simulations le voyage dure entre 59 et 118 jours. Il teste deux scénarios, un l’été et un l’hiver. « C’est l’opposé de ce que j’imaginais, la glace fond plus rapidement en hiver. Les vagues sont plus grandes et l’océan encore relativement chaud de l’été précédent ».

Pour poursuivre cette étude, le chercheur dit vouloir explorer l’impact environnemental du remorquage, en matière d’émission de carbone. Il pense aussi que la vie aquatique pourrait être déstabilisée : « lorsqu’on amène un cube de glace dans les eaux de Cape Town, près des côtes subtropicales, cela pourrait être un choc pour la vie marine, surtout s’il fallait les acheminer de manière répétée ».

La technique d’extraction de l’eau n’existe pas encore, et c’est peut-être l’étape la plus difficile. « Quand les fonds remontent près de Cape Town, c’est possible que tu te retrouves coincé avant loin du port. À l’arrivée, l’iceberg pourrait mesurer 100 ou 200 mètres de long, alors comment fais-tu pour récolter cette eau avant qu’elle fonde ? » s’interroge le scientifique. Théoriquement le prix de l’eau potable d’un iceberg remorqué serait 5 fois moins cher que celui d’une usine de désalinisation. Mais ce processus qui doit encore être développé, avant d’être mis en pratique.

Camille Lin, Polar Journal

Lien vers l’étude : Alan Condron, Nature, 2023, Towing icebergs to arid regions to reduce water scarcity, https://doi.org/10.1038/s41598-022-26952-y.

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