Les sources d’eau chaude des îles subantarctiques hébergent des bactéries, des archées et les virus adaptés aux milieux extrêmes. Dépourvue d’oxygène, la chimie des sources géothermales est comparable à certains milieux extraterrestres.
À 100 kilomètres de la base de Port-aux-Français aux îles Kerguelen, le plateau des Fumerolles est très difficile d’accès, même pour les scientifiques. Les sources géothermales de cette zone regorgent pourtant de minuscules formes de vie intéressantes pour les biologistes de l’Institut Paul-Émile Victor. Aucun « chef de district », responsable de la base scientifique, ne donnerait l’autorisation de s’y rendre à pied, pour de raison de sécurité. Puisqu’en cas d’accident, leur porter secours serait périlleux. Cependant, une expédition a pu y récolter l’eau parfois bouillante des sources du plateau des Fumerolles et y a découvert 13 nouvelles espèces de microorganismes dont certaines appartiennent à des genres nouveaux. L’illustre revue Nature a publié ces résultats dans son journal de décembre dernier.
« La vie qui prolifère dans l’eau et la vapeur de cet écosystème pourrait directement descendre des premiers êtres vivants qui ont habité la Terre, et seraient aussi rustiques que les éventuelles formes de vie qu’on pourrait trouver dans l’espace. »
Marc Le Romancer, microbiologiste de l’Université de Bretagne Occidentale
« Nous y sommes allés à trois reprises depuis 2005, déposés par l’hélicoptère du Marion Dufresne II (navire océanographique et ravitailleur français, indéfectible compagnon des Terres Australes et Antarctiques Françaises, NDLR). Nous avons alors établi un campement dans ces zones battues par les vents, pour de courts séjours de 48 à 72 heures. » nous raconte Marc Le Romancer, microbiologiste.
L’île repose sur un plateau continental englouti qu’elle partage avec Heard-et-MacDonald un archipel volcanique qui se trouve à 500 kilomètres au sud-est. En profondeur, un point chaud avoisine des nappes d’eau qui remontent à travers les roches, jusqu’à 300 mètres au-dessus de la surface de la mer. Sur la péninsule de Rallier du Batty la dernière activité volcanique de l’île remonte à vingt-six-mille ans. Vestiges des éruptions d’antan, il n’y reste aujourd’hui que des fumerolles, des mares de boues et des sources d’eau chaude.
La vie des bactéries s’y déroule dans des bains variant de 35 à 100 °C parfois acide, parfois basique. Privés d’oxygène, ils utilisent les minéraux dissous comme le souffre ou le fer pour faire fonctionner leurs cellules. Ces soupes primitives sont considérées comme des vestiges du début de l’évolution ou du berceau de la vie.
« Dans le cratère de Saint-Paul existe un virus d’eau chaude que l’on retrouve dans des sources du sud-est de l’Inde. Est-ce qu’il provient de l’époque où toutes les terres émergées étaient réunies et l’Antarctique et l’Inde étaient très proches ? C’est une hypothèse. » s’interroge Marc Le Romancer. Certaines espèces de bactéries découvertes à Kerguelen sont communes à celles de l’île de la Déception (proche de la péninsule Antarctique), du Yellowstone et du Kamchatka.
Entre les roches, les bactéries thermophiles sont abondantes à des centaines de mètres sous l’écorce terrestre. « Nous avons un ensemble d’hypothèses, techniquement difficiles à vérifier, selon lesquelles des nappes d’eau souterraines relieraient certains points chauds entre eux et des microorganismes y circuleraient. » formule le chercheur. Selon ces postulats, les sources thermales des régions de l’Antarctique ne seraient que la partie immergée de l’iceberg.
Camille Lin, Polar Journal
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