Le stockage de gaz à la française se volatilise de Russie | Polarjournal
Le Christophe de Margerie premier des 15 brise-glaces méthaniers fabriqués en Russie pour exporter du gaz naturel liquéfié à partir de la péninsule de Yamal. Architecture finlandaise dessinés par Aker Arctiv. Image : Wiki Common CC BY-SA 4.0

Le transport maritime du gaz en Arctique se fait en brisant la glace et à l’état liquide. Dans tous ses états après l’agression de la Russie en Ukraine, l‘Europe sanctionne l’économie russe, la privant de ses experts comme Gaztransport & Technigaz.

La société Gaztransport & Technigaz (GTT) s’est retirée le 8 janvier dernier du projet de construction de cuves sous-marines de stockage du terminal gazier Arctic LNG 2 dans l’Arctique russe et du chantier de construction navale Zvezda Shipbuilding Complex proche de Vladivostock. Les 8e et 9e train de sanctions de l’Union Européenne limitent l’activité de ses entreprises en Russie, notamment les sociétés de conseils. GTT est concernée, cette compagnie française est experte des membranes isolantes pour le gaz naturel liquéfié (GNL).

« Nous ne fabriquons rien, nous vendons notre expertise pour adapter des membranes aux plans de cuves de nos clients « , nous explique le porte-parole de l’entreprise. Les membranes sont essentielles pour protéger les cuves contenant du GNL. Le méthane liquide est conservé à -161 °C et à son contact le béton des cuves de stockage ou l’acier des coques de navires se briseraient au moindre choc.  » Nous estimons que 80 % des navires de transport de GNL en activité sont équipés de notre technologie « , complète le porte-parole.

Une demande accrue

En 2019, alors que l’exportation russe de GNL avait triplé en 5 ans, l’entreprise Novatek s’est lancé dans la construction d’Arctic LNG 2, un nouveau terminal gazier positionné stratégiquement proche des forages pétroliers de la péninsule du Yamal et sur les routes maritimes de l’Arctique en direction de l’Asie vers l’est, et de l’Europe vers l’ouest. Mais c’est surtout l’est qui intéresse les Russes. L’Asie pacifique réclame de plus en plus de GNL pour soutenir sa croissance.

Parmi les investisseurs du projet, TotalEnergies s’est retiré en décembre dernier. Au tour de GTT ce mois-ci.  » Le concept d’Arctic LNG 2 c’est de construire les cuves de stockages dans les eaux du port plutôt que de les construire sur le permafrost « , nous explique Hervé Baudu, expert maritime des navigations dans les glaces et des zones maritimes arctiques. Pour cela, GTT a développé des membranes pour des cuves sous-marines en béton.

Le système de membrane est, un peu comme pour un thermos, fait de couches d’isolants et d’acier inoxydable. Image : GTT / Roland Mouron

 » Pour comprimer et liquéfier le gaz, le terminal gazier utilise une turbine comparable à celle d’un Boeing 777 « , nous explique l’expert maritime. Les cuves prennent la forme d’un quai de ravitaillement sur lequel accostent les méthaniers brise-glaces – nom donné aux navires de transport de GNL qui évoluent sur des mers glacées.

 » Aujourd’hui, il y a 280 méthaniers en construction dans le monde, dont 240 en Corée, 30 en Chine et quelques-uns en Russie, ajoute le porte-parole de GTT. Parmi eux, les brise-glaces sont minoritaires, ils circulent exclusivement dans l’Arctique russe.  »

 » Ce sont des navires très puissants, 40 MW! Soit quatre fois plus qu’un navire équivalent conçu pour l’eau libre. Si les plaques de glace se superposent et forment des ridges, le navire se positionne en marche arrière et les attaques avec la coque et les hélices. « 

Hervé Baudu, expert maritime des navigations polaires et des zones arctiques
Les cuves ne sont pas rondes, ses parois sont conçues pour limiter les chocs avec le liquide lorsque le navire roule. Ces chocs réchaufferaient le liquide et accélèreraient son évaporation, ce qui augmenterait la pression dans la cuve. Image : GTT / Roland Mouron

GTT se retire donc des chantiers russes de construction navale proche de Vladivostock. L’entreprise française doit encore finaliser les membranes de 2 méthaniers brise-glaces sur le point d’être mis à l’eau. Deux unités d’une commande totale de 15 navires. Mais l’entreprise assure que son bilan comptable de 2023 sera vierge de toute activité russe.

Les sanctions européennes n’impacteront pas tellement le chiffre d’affaires de GTT, pour qui la Russie ne représente que 6 % de ses activités. Il est possible que les Russes s’adressent aux chantiers sud-coréen ou chinois pour la construction de nouveaux méthaniers brise-glaces. GTT fournit également son expertise dans ces pays, qui pourraient, à l’avenir s’impliquer d’avantage dans le transport du gaz dans les mers de l’Arctique.

Camille Lin, PolarJournal

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