Les coulisses du traité sur la pêche en Arctique | Polarjournal
Le retrait de la banquise l’été dans le sud de l’Arctique dévoile de nouveaux territoires pour certains poissons venus du sud. Image : Andreas Rogge

Les eaux internationales de l’Arctique sont aujourd’hui protégées de la pêche grâce à l’entente de ses 5 États frontaliers. Ces derniers ont déjà fait les frais de mauvaises gestions des pêches, ce qui les a poussés à se mettre à la table des négociations.

Au milieu de l’océan Arctique, les eaux internationales sont le théâtre d’un traité sur la pêche industrielle depuis juin 2021. Les presses de l’Université de Cambridge viennent d’imprimer un article coécrit par deux juristes du droit international, Cayla Calderwood et Frances Ann Ulmer, retraçant l’histoire du moratoire. Cet article paraît 6 mois avant le prochain rendez-vous qui réunira les pays engagés dans la non-exploitation des pêcheries de l’Arctique. Cette étape consistera pour chaque état membre, à la publication de mesures concrètes de protection.

 » Les pays de l’Arctique ont appris que la surpêche dans les eaux internationales proches de leurs frontières endommageait leurs stocks de poissons, parce qu’ils sont chevauchants « , rappellent les auteurs de la publication. Les États-Unis, la Norvège et la Russie ont fait les frais de ce principe entre 1952 et 1999 autour de deux petites enclaves internationales : le Donuts Hole dans la mer de Béring et Loophole dans la mer de Barents. Les stocks de poissons s’y sont respectivement effondrés pour le lieu noir et la morue.

Le moratoire dans l’arctique s’est appuyé sur l’histoire des deux enclaves, au cours de laquelle les leviers diplomatiques ont été difficiles à actionner, les écosystèmes difficiles à prévoir et où une table de négociation avec des pays lancés dans l’exploitation d’un filon de morue impossible à dresser.

Autour du Donut Hole, la Russie et les États-Unis d’Amérique ont finalement décidé en 1988 de coopérer pour établir une procédure internationale de régulation des pêches dans l’enclave. Cet embryon de système coopératif est un des piliers de l’appel pour un moratoire dans l’Arctique, lancé par l’ancien président George W. Bush en 2008.

À gauche, les fonds des zones internationales de l’océan Arctique sont revendiqués par 4 pays. À droite, la portion de haute mer qui n’appartient à aucune nation (en bleu) est entourée de 5 pays. Wiki Common / Cornell

L’autre pilier étant l’expérience propre des États-Unis d’Amérique d’une mauvaise gestion des pêches autour de l’Alaska. La découverte de coraux durs dans le filet des chaluts de la mer de Bering a lancé une grande discussion entre scientifiques, compagnies de pêches, gestionnaires, autorités et autochtones. L’existence de récifs coralliens dans les eaux froides et profondes était alors inconnue.

Une coalition s’est mise d’accord sur l’importance de protéger l’habitat et de stopper le chalutage dans les récifs coralliens de l’Alaska. Ce qui, sur la base d’arguments scientifiques, sera enfin adopté en 2005. Les communautés inuits pensent alors à un moratoire sur la pêche dans les eaux de l’Arctique, préoccupé par les chalutages profonds. Une idée promue par Caleb Pungowiyi (1941-2011), président de la Conférence Inuit Circumpolaire.

Entre 2008 et 2019, les 5 pays de l’arctique : Canada, États-Unis, Russie, Danemark et Norvège ont progressivement intégré la République populaire de Chine, la République de Corée, l’Islande, Le Japon et l’Union Européenne dans la signature du traité sur la régulation de la pêche dans ces eaux internationales.

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine pourrait affecter les relations entre les pays de l’Arctique.  » La Russie peut quitter le traité ou les autres états pourraient organiser son départ, cela serait un douloureux divorce comme le Royaume-Uni et l’Europe pendant le Brexit « , nous explique Anne Choquet, juriste spécialisée en droit des espaces polaires.

Dans ce contexte de changement global, chaque pays de l’Arctique sera amené à gérer de nouvelles pêcheries comme le lieu noir dans la mer de Tchouktches. En attendant, le choix du principe de précaution avant même que la pêche n’ait pu commencée dans les eaux internationales, est le succès d’un modèle de gestion où la science précède l’exploitation.

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers l’étude : Cayla Calderwood et Frances Ann Ulmer, Polar Record of Cambridge University Press, 2023, The Central Arctic Ocean fisheries moratorium: A rare example of the precautionary principle in fisheries management, https://doi.org/10.1017/S0032247422000389.

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