Prédire les routes des éléphants de mer dans les méandres du front polaire | Polarjournal
Ici, une éléphante de mer du sud qui est équipée de plusieurs balises, pendant qu’elle vient pour se reproduire sur la plage de rivière du Nord de l’archipel de Kerguelen, par des scientifiques de l’Institut Polaire Français. Image : Camille Lin

Pour reconstruire les activités de pêche des éléphants de mer du sud, les chercheurs attachent des capteurs sur leur dos, imaginent leur mode de vie, puis vérifient si les deux coincident. Hassen Allegue constate que la théorie du « comportement d’approvisionnement optimal » n’est peut-être pas si juste.

Pouvoir deviner où se restaurent les éléphants de mer du sud dans l’océan, c’est un peu comme essayer de prédire le trafic routier des prochaines vacances. Il faut utiliser un modèle mathématique qui décrit bien la circulation et surtout prendre en considération plusieurs facteurs. Hassen Allegue et ses collègues écologues rappellent la nécessité de mieux décrire la circulation des éléphants de mer, dans leur dernière étude publiée chez Movement Ecology.

La plupart des conducteurs d’automobiles utilisent des GPS qui fournissent des informations sur la vitesse, la localisation et même parfois le type de véhicule, ou plus encore. Des recettes mathématiques analysent ces informations et décrivent les comportements possibles des automobilistes lors des prochaines vacances. De la même façon, les chercheurs qui travaillent sur des espèces d’animaux nageurs utilisent des outils de prédiction et équipent leurs petits protégés d’un appareil qui, comme le GPS, permet de suivre la vitesse, l’accélération, la localisation ou encore, la profondeur de leur plongée.

Cependant, comprendre le mouvement d’un véhicule sur les réseaux routiers est plus simple que comprendre les mouvements d’un animal marin sous l’eau. Notre connaissance du « code la route » de ces animaux est relativement limitée. Les chercheurs ont donc imaginé un code théorique appelé « comportement d’approvisionnement optimal » pour ces mammifères marins, qui passent les trois quarts de leur vie à chasser.

Selon la théorie du « comportement d’approvisionnement optimal », un éléphant de mer optimise sa quête de nourriture en privilégiant des zones où les proies sont concentrées. Un peu comme l’endroit de rêve pour passer ses vacances, qui regroupe calme, ambiance, plage, montagne, terrasses… au même endroit.

La profondeur et la durée moyenne des plongées des éléphants de mer est de 300-400 mètres pendant 20-30 minutes. Mais Hassen Allegue (ici au travail) a déjà enregistré des plongées de plus d’une heure et demi. Image : Camille Lin

Chaque éléphant de mer utilise alors deux modes de déplacement, un rapide et plutôt linéaire pour chercher le bon endroit pour se nourrir. Puis, il permute lorsqu’il chasse des proies les unes après les autres, et avance plus lentement en suivant des courbes tortueuses. « En fait, ce n’est pas toujours aussi vrai ! Je ne dis pas que cela est totalement faux, mais cela dépend des cas », nous met en garde le chercheur.

« Mark Hindell, un scientifique australien qui travaille aussi sur les éléphants de mer de Kerguelen, montre que le modèle fonctionne à proximité d’un plateau continental. Seulement, il semblerait que les éléphants de mer ne pilotent plus de la même façon lorsqu’ils sont au milieu de l’océan. »

Hassen Allegue

Par exemple, au large d’un plateau, la structure du mouvement de ces mammifères est surement plus allongée, dans le sens des courants. « Une étude montre que pour économiser leur énergie, les éléphants de mer utilisent les courants pour se déplacer », explique-t-il. Quand ces flux aqueux portent des nutriments, il y a possiblement du poisson, donc de la nourriture pour eux. « Dans cette configuration, les éléphants n’ont certainement pas le même mode de déplacement, et ne réalisent peut-être pas de trajets aussi sinueux que sur les plateaux, pour se nourrir. S’intéresser seulement à leur vitesse de déplacement ne permet pas de voir s’ils sont en train de chasser ou non », complète-t-il.

« Pour comprendre et protéger une population d’animaux bien définie, il faut de ce fait les étudier de près et comprendre comment ils se comportent. La théorie générale ne va pas forcément s’appliquer à chaque situation. »

Hassen Allegue

Le chercheur ajoute : « Certains individus sont plus téméraires que d’autres. » Le caractère des animaux est aussi à prendre en compte. Les plus audacieux risque d’être attaqué par une orque, doublé par un concurrent, coincé sous la glace. Ils risquent aussi de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment, parce que les zones d’abondance nutritive disparaissent aussi rapidement qu’elles n’apparaissent d’entre les courants océaniques. Mais si leur stratégie paye, ils bénéficient de lieux plus productifs. Les audacieux n’ont donc assurément pas adopté le même Code de la route que les plus prudents.

Maintenant, une autre question se pose, est-ce que les éléphants de mer prennent parfois congé de leur chasse ? Et bien oui, sur les plages de l’océan Austral, où ils renouvellent leur épiderme, allongés les uns sur les autres. Les « GPS » attachés sur le dos de ces animaux par les chercheurs se décrochent alors de leur corps. C’est alors que les scientifiques viennent les récupérer, parce qu’ils contiennent de précieuses informations, indispensables pour décrypter le code de navigation de ces mammifères marins, plutôt attachants.

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers l’étude : Hassen Allegue, Denis Réale, Baptiste Picard and Christophe Guinet, Movement Ecology, 2023, Track and dive-based movement metrics do not predict the number of prey encountered by a marine predator, https://doi.org/10.1186/s40462-022-00361-2.

En savoir plus sur le sujet :

error: Content is protected !!
Share This