Un événement de la vie des glaciers qui n’avait encore jamais été observé vient de surprendre les glaciologues. Un lac reposant sur la calotte glaciaire s’est vidangé en plein hiver, entrainant un effet en cascade.
La glace du Groenland fond l’été et se reconstitue l’hiver. Un cycle qui se répète chaque année, du moins c’est ce que pensaient les glaciologues jusqu’à de récents résultats. Une équipe francodanoise et américaine découvre dans un vaste jeu de données que 180 millions de m3 d’eau sont partis à la mer en plein hiver, relâchés par un glacier côtier de l’Ouest groenlandais. À la source de cette crue, un lac glaciaire âgé d’une cinquantaine d’années qui s’est vidangé.
Ce type de lac apparait à la surface d’une calotte glaciaire en été quand il fait chaud, l’eau ruisselle et s’accumule. « Ce sont des lacs qui font plusieurs kilomètres carrés, nous explique Olivier Gagliardini, glaciologue de l’Université Grenoble Alpes en France. Quand l’hiver arrive, la neige se dépose sur la surface gelée du lac, et l’isole du froid. Il reste donc un grand volume d’eau liquide emprisonné dans la glace. » L’été il s’agrandit. L’eau liquide plus foncée capte plus d’énergie solaire et l’eau plus lourde que la glace prend plus de place.
Le 9 mars 2018, en amont d’Ilulissat à 142 kilomètres à l’intérieur des terres, et à une altitude de 1 600 mètres sur la calotte du Jakobshavn Isbræ, deux lacs glaciaires disparaissent. « Une fracture s’est ouverte et un conduit s’est formé jusque sous la surface du glacier. » décrit le glaciologue.
Cet événement déclenche une accélération de l’écoulement du glacier vers l’aval. « C’est la première fois que l’on observe une vitesse d’écoulement aussi élevé en hiver. Le passage de la crue a modifié les contraintes physiques entre le sol et le glacier, et d’autres lacs se sont aussi drainés en aval, un effet en cascade. » complète-t-il. L’eau a été capable de soulever sur 20 cm les centaines de mètres d’épaisseur du glacier.
Maintenant, savoir si l’écoulement des glaciers aura tendance à s’accélérer à cause des crues sous-glaciaires reste une affaire débattue par la communauté scientifique. « Il y a deux écoles de pensée, discute le glaciologue. La première pense que l’accélération de l’écoulement des glaciers n’aura pas lieu parce que l’eau creuse des chenaux sous ceux-ci. L’autre pense que les champs de crevasses risquent de remonter en altitude permettant à l’eau de fonte de trouver les bases du glacier plus en amont, et accélèrerait l’écoulement de la partie amont des glaciers. »
Finalement les deux écoles pourraient se rejoindre. « Elles sont peut-être d’accord, conclut-il, pour dire que les glaciers s’écouleront plus vite en altitude, puis en aval ils s’écouleraient moins vite, mais fondraient d’autant plus. »
Sur l’ensemble des glaciers côtier du Groenland, les chercheurs ont repéré 4 autres drainages de ce type. « Celui de 2018 représente une élévation du niveau marin de 0,0005 mm, calcule-t-il. Ce n’est pas beaucoup, mais cela montre qu’il y a un décalage de plusieurs décennies pour que cette eau arrive à la mer. » Une information à prendre en compte pour les prévisions d’élévation du niveau marin.
Camille Lin, PolarJournal
En savoir plus sur le sujet :