Les baleines à dents utilisent des voix basses pour chasser | Polarjournal
Les bélugas qui vivent en Arctique appartiennent à la famille des cétacés à dents et utilisent l’écholocation pour repérer leurs proies. Photo : Michael Wenger

Après une décennie de travail, une équipe de recherche germano-danoise a décodé la manière dont les cétacés à dents produisent les clics qui leur permettent de localiser et d’attraper les proies qui nagent rapidement dans les profondeurs obscures. L’étude montre qu’au cours de l’évolution, les orques, les dauphins, les narvals et d’autres ont développé dans leur museau une structure par laquelle ils poussent l’air, ce qui donne naissance aux clics.

Les baleines à dents, dont font partie les bélugas et les narvals qui vivent en Arctique, ainsi que les orques présentes dans les eaux arctiques et antarctiques, certaines baleines à bec, ainsi que les dauphins, trouvent généralement leurs proies à des profondeurs d’eau où la lumière ne pénètre presque pas ou pas du tout. Ils doivent donc se fier à leur écholocation pour chasser. Les clics que les baleines émettent pour localiser leurs proies sont presque comme le faisceau focalisé d’une lampe de poche. C’est la description qu’en fait à NPR le chercheur en voix Coen Elemans, professeur à l’Université du Danemark du Sud et responsable de l’étude.

Jusqu’à présent, on ne savait toutefois pas comment les baleines produisaient ces clics à plusieurs centaines, voire milliers de mètres de profondeur sous une forte pression de l’eau. Grâce à sa persévérance et à une technique spécialement développée, l’équipe a réussi à percer ce secret longtemps gardé. Ils ont été aidés par des dauphins entraînés au delphinarium hollandais de Harderwijk et par des marsouins en liberté. Leurs conclusions s’appliquent très probablement à toutes les baleines à dents.

Clics d’écholocation des baleines à bec. Photo : Julia Hager, audio : NOAA Fisheries

L’équipe a pu démontrer que les cétacés à dents développaient dans leur museau une source sonore contrôlée par l’air – les lèvres phoniques – qui, d’un point de vue physique, fonctionne de manière analogue à la production de sons dans le larynx chez les mammifères et dans la tête vocale chez les oiseaux.

Grâce à leurs lèvres phoniques, les baleines peuvent, même à de grandes profondeurs d’eau, utiliser pleinement leur répertoire vocal qui, comme pour nous les humains, se compose d’au moins trois registres vocaux : 1. la laryngalisation, également appelée friture vocale, qui produit les sons les plus graves ; 2. le registre de la voix de poitrine, qui est la voix parlée normale chez l’homme ; et 3. le falsetto, la partie la plus haute de la voix.

Clics d’écholocation des bélugas. Photo : Heiner Kubny, audio : NOAA Fisheries

Selon les résultats de l’étude, les odontocètes utilisent le registre vocal le plus grave, la friture vocale, pour produire les clics d’écholocation. L’équipe l’a découvert uniquement à l’aide de vidéos à haute vitesse prises avec des endoscopes. « Pendant la laryngalisation, les lèvres phoniques ne sont ouvertes que très brièvement, de sorte que très peu d’air respiratoire est nécessaire pour utiliser ce type de voix », décrit Elemans.

« Et cette économie d’air le rend particulièrement idéal pour l’écholocation », explique le professeur Peter Madsen, biologiste des cétacés à l’Université d’Aarhus au Danemark et premier auteur de l’étude. « Lors des plongées profondes, tout l’air est comprimé à une infime fraction du volume à la surface ». Madsen ajoute que la production de sons à l’aide de la friture vocale permet aux baleines d’accéder à la niche alimentaire la plus riche de la planète : la mer profonde.

« L’évolution l’a déplacé de la trachée vers le nez, ce qui permet une pression beaucoup plus élevée – jusqu’à cinq fois ce qu’un trompettiste peut produire – sans endommager le tissu pulmonaire », explique Madsen. « Cette pression de propulsion élevée permet aux baleines à dents de produire les sons les plus forts du règne animal », ajoute Elemans.

Clics d’écholocation et sons de communication des orques. Photos : Michael Wenger & Stefan Leimer, audio : NOAA Fisheries

Si les baleines plongent à plus de 100 mètres, leurs poumons s’affaissent pour éviter le mal de pression. Les poumons ne sont alors plus disponibles pour l’approvisionnement en air. Cela crée un petit espace d’air suffisant pour générer des clics d’écholocation même à de grandes profondeurs, soit jusqu’à 2000 mètres.

Lors de l’écholocation, les baleines augmentent la pression dans leur museau osseux et font passer l’air devant les lèvres phoniques, qui vibrent de la même manière que les lèvres vocales humaines. Cette accélération génère des ondes sonores qui se propagent à travers le crâne vers l’avant de la tête.

Les sons avec lesquels les baleines communiquent sont également produits par les lèvres phoniques, qui vibrent ensuite dans le registre de la voix de poitrine ou de la voix de fausset. Cela est particulièrement utile à la communication au sein des groupes et témoigne d’un haut degré de socialisation chez de nombreuses espèces de cétacés à dents.

Julia Hager, PolarJournal

Lien vers l’étude : Madsen, P. T., Siebert, U., Elemans, C. P. H. Toothed whales use distinct vocal registers for echolocation and communication. Science, Vol. 379, 6635. DOI : 10.1126/science.adc9570

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