Le plongeon polaire, presque bon pour la santé | Polarjournal
Plongeon de l’ours polaire : les ours polaires sont parfaitement équipés pour affronter les eaux glacées. Une fourrure épaisse composée de deux couches : l’une pour garder le corps au chaud et l’autre de poils creux pour repousser l’eau et rester au sec. Et sous la peau, une épaisse couche de graisse pour protéger les organes internes… du moins lorsqu’ils en ont atteint l’âge. Image : Michael Wenger

Des baigneurs qui, sous nos latitudes, prolongent leurs baignades jusqu’au cœur de l’hiver aux compagnies de croisière qui proposent des plongeons dans les eaux arctiques et antarctiques, sans oublier les cryothérapies, s’immerger dans le froid n’aura jamais été aussi populaire qu’aujourd’hui, malgré quelques interrogations qui subsistent quant aux réels effets de ces pratiques sur l’organisme.

La scène se déroule à Kullorsuaq, un petit village comme il en existe plusieurs le long de la côte ouest du Groenland.

Sur le ponton qui s’avance dans la mer se pressent, dirait-on, l’ensemble des quelques 400 habitants du village. Hommes, femmes, enfants, souvent le portable à la main, tous rient aux éclats, affichant pour certains une mine quelque peu décontenancée face au spectacle qui se déroule aux pieds du ponton.

De petits groupes de voyageurs, seulement vêtus de maillots de bain aux couleurs et aux découpes variées, s’encouragent en pénétrant dans l’eau glacée. Pour certains, l’entrée dans l’eau semble presque douloureuse. Pour d’autres, plus braves, c’est un plongeon en bonne et due forme, et une sortie plutôt rapide après quelques brasses.

Ces baigneurs sont les passagers de l’élégant bateau de croisière qui mouille plus loin dans la baie. Et c’est dans ce village que s’est organisée une activité qui fait de plus en plus d’adeptes : le plongeon polaire.

Lorsqu’on interroge les habitants de Kullorsuaq, pourtant habitués à des températures glaciales (en hiver, au Groenland, le thermomètre peut flirter avec les -50°C), sur leur éventuel souhait de piquer à leur tour une tête, ils répondent, à la fois amusés et surpris par la question : « Oh non, l’eau est froide ! »

Sauter dans les eaux glacées d’un fjord groenlandais est un moment fort pour de nombreux voyageurs polaires. Mais cela comporte des risques et, en général, le personnel médical se tient prêt avec l’équipement nécessaire.

Plusieurs pratiques pour un même frisson

Et c’est vrai que la pratique a de quoi surprendre bien qu’elle fasse de plus en plus d’adeptes. Le plongeon polaire, que l’on nomme aussi le polar bear plunge ou polar bear dip, en lui-même peut s’opérer depuis une plage. Ainsi, certains y vont un orteil à la fois, prenant le temps de se mouiller la nuque histoire de préparer le corps au choc qui va suivre, alors que d’autres plongent tête la première. Cette pratique peut s’effectuer n’importe où une grande étendue d’eau froide est disponible, raison pour laquelle on croise de plus en plus de baigneurs en hiver sur les bords de nos lacs et rivières. Il existe toutefois une autre version du plongeon polaire. Plus radicale, celle-ci consiste à plonger sans autre forme de procès dans l’eau glacée depuis le bord d’un navire d’expédition, d’une plaque de banquise ou d’un trou fait dans la glace d’un lac gelé.

Puis, il y a les grands rassemblements que l’on retrouve, par exemple, au Canada et qui consistent à réunir plusieurs centaines de personnes, parfois affublés de déguisements, et à se jeter collectivement dans l’eau glacée histoire de célébrer le premier jour de l’An.

Sans oublier bien évidemment le plongeon dans l’eau glacée ou le roulage dans la neige après un sauna brûlant, ou les bains de glace où on s’immerge littéralement dans une baignoire pour y rester immobile aussi longtemps que possible, pratique parfois accompagnée de méditation.

Enfin, la cryothérapie vient compléter le tableau. Bien qu’elle ne suppose pas d’immersion à proprement parler, elle consiste tout de même à exposer durant quelques minutes un corps souvent juste vêtu d’un maillot de bain à une température abyssale de -150°C obtenue grâce à de l’azote liquide.

Pour toutes ces pratiques, on retrouve souvent un point commun : les bienfaits mis en avant par leurs adeptes sur leur santé physique et mentale. Du soulagement de douleurs à une plus grande énergie, la liste des aspects positifs finirait presque par convaincre les plus sceptiques de se jeter à l’eau. Mais qu’en est-il réellement de ces bienfaits ? Et surtout, quelles sont les risques de cette pratique qui semble défier le bon sens ?

Quand le froid fait du bien

On connaît depuis l’Antiquité les effets bénéfiques du froid sur la douleur et les inflammations. Ainsi, on avait déjà pour habitude de mettre les traumatisés crâniens dans des pièces fraîches afin de favoriser la guérison. En contractant les vaisseaux sanguins, le froid diminue la circulation du sang dans la zone atteinte, d’où son utilisation thérapeutique pour des maladies chroniques telles que les rhumatismes ou la fibromyalgie, mais aussi en médecine sportive pour permettre aux athlètes de récupérer plus vite.

Des bienfaits au niveau du mental sont aussi régulièrement mis en avant par les adeptes de l’immersion dans le froid, relevant des effets positifs sur le moral, le bien-être global, la réduction de l’anxiété et du stress, ainsi qu’une amélioration du sommeil. Et effectivement, le froid provoque une augmentation d’hormones telles que l’adrénaline, la dopamine et le norépinéphrine. Sans compter le petit frisson qu’une pratique aussi inusitée et particulière peut provoquer chez ses adeptes.

Mais attention, les effets bénéfiques d’une petite trempette dans des eaux glacées ont aussi leur pendant négatif et pas des moindres : choc, noyade, arrêt cardiaque constituent de sérieux risques à cette pratique et une visite médicale s’impose avant de se jeter à l’eau, surtout en cas d’antécédents cardiaques.

Les effets physiologiques du froid

Premièrement, il est important de relever que les bienfaits d’une exposition au froid, que ce soit en termes de renforcement immunitaire ou d’amélioration de la santé physique et mentale, n’ont pas pu être établis par la médecine. En effet, et jusqu’ici, les données manquent pour comprendre quel est l’impact réel sur le corps et ses conséquences à court et à long terme..

Par contre, on connaît les réactions d’un corps exposé à de basses températures.

Lorsqu’on s’immerge dans de l’eau froide, le corps entre dans un état de choc provoquant une série de réponses physiologiques visant à se protéger. Le cœur s’emballe, le rythme cardiaque et la respiration s’accélèrent.

Au même moment, le corps libère dans le sang adrénaline, endorphines, sérotonine, ce qui explique l’effet euphorisant que l’on peut ressentir lorsqu’on se baigne dans de l’eau froide. « C’est parce que le corps répond à ce stress avec une réponse de type combat ou fuite et vous prépare à vous sortir de cet environnement, et c’est ce qui peut vous donner un sentiment de quasi-euphorie », explique Mike Tipton, professeur de physiologie humaine appliquée à l’Université de Portsmouth, dans un entretien avec la CNN.

De plus, on sait depuis longtemps que l’exercice physique est à la fois bon pour le moral et la santé, la natation étant souvent désignée comme une activité particulièrement bénéfique. Aussi, il devient compliqué d’établir si c’est la natation en eau froide ou la natation tout court qui fait tant de bien.

Choc au froid

Plonger dans l’eau froide active une série de récepteurs situés sous la peau, déclenchant un processus nommée « cold shock » (choc au froid). Un rush d’adrénaline est déclenché ce qui provoque de l’hyperventilation. Le cœur s’accélère, la pression artérielle augmente et la respiration s’accélère aussi, ce qui est particulièrement dangereux si on a la tête sous l’eau.

« Dans une eau à 10°C, on ne peut guère retenir sa respiration plus de cinq secondes. », précise Tipton. Au-delà, la bouche s’ouvre dans un réflexe de respiration et, si la tête est sous l’eau, on absorbe une quantité d’eau suffisante pour provoquer la noyade.

Sans oublier que dans l’eau froide, les muscles et les nerfs finissent par se refroidir aussi, rendant difficile la capacité à nager et à coordonner ses mouvements. Ainsi, d’excellents nageurs en eau tempérée peuvent-ils rencontrer de grandes difficultés à nager dans une eau glaciale.

Athlète de l’extrême et « sirène chilienne », Barbara Hernandez a récemment établi un nouveau record en Antarctique, parcourant à la nage 2,5 kilomètres en 45 minutes. La température de l’eau était de 2°C et, à la fin de sa performance, sa température corporelle n’était plus que de 27°C.

Pour la grande majorité des gens, ce processus physiologique de survie n’entraîne que des désagréments temporaires et les choses reviennent rapidement à la normale dès que la baignade est terminée. En outre, une exposition régulière au froid peut entraîner une acclimatation du corps, ce qui explique les records d’immersion détenus par certaines personnes, comme Wim Hof, le célèbre Iceman, avec ses 72 minutes passées dans un bain de glace. Plus récemment, l’athlète de l’extrême chilienne, Barbara Hernandez, a passé plus de 45 minutes dans les eaux de l’Antarctique en nageant 2,5 kilomètres.

« La réponse de choc peu être atténuée en acclimatant le corps au fil du temps à une eau de plus en plus froide », mentionne Lee Hill à l’American Heart Association. Ce scientifique du sport et postdoctorant à l’institut de recherche du McGill University Health Centre du Québec suggère de commencer doucement en nageant en extérieur durant l’été, et de poursuivre l’activité lorsque les températures descendent.

« Exposez vos poumons à l’air froid », conseille-t-il. « Le moment le plus dangereux se situe entre les dix premières secondes et jusqu’à une minute, quand les gens tentent de reprendre le contrôle de leur souffle. On peut survivre jusqu’à une heure en bougeant mais pour ceux qui ne sont pas habitués au choc provoqué par l’eau froide, le risque d’accident est incroyablement grand. »

De même, chez les personnes qui ont des problèmes cardiaques ou de tension artérielle, les risques de subir une crise cardiaque sont réels.

Mais qu’on se rassure, jusqu’ici les statistiques sont loin d’être inquiétantes et ne recensent guère noyade ou arrêt cardiaque chez les plongeurs polaires. N’empêche, il est recommandé de se lancer avec prudence.

Plonger dans les eaux arctiques et antarctiques

La véritable version polaire du plongeon polaire : un saut dans les eaux glacées, par exemple au pôle Nord. Vidéo : Chaîne Youtube Kara & Nate

C’est pourquoi les compagnies qui prévoient un plongeon polaire dans leur programme de croisière demandent non seulement que leurs passagers attestent de leur bonne santé en répondant à un questionnaire renvoyé à la compagnie avant le départ, mais réclame également un électrocardiogramme (ECG) aux candidats au plongeon, histoire de s’assurer que le palpitant tiendra bon. Il faut dire que dans ce type de plongeon, la partie acclimatation est plutôt brève. Souvent, le plongeon s’effectue d’un saut dans une eau à 0°C depuis la banquise ou le navire.

Outre, les précautions initiales, la sécurité est assurée durant tout le processus : un harnais autour de la taille assure que le plongeur ne coulera pas et ne sera pas emporté sous la banquise par le courant, et un Zodiac ou un plongeur demeurent à proximité pour intervenir en cas d’urgence. Sans oublier bien évidemment la présence d’une équipe médicale prête à pallier tout problème afin que les passagers puissent profiter d’une expérience unique : plonger dans les eaux de l’Arctique ou de l’Antarctique.

Alors, le plongeon polaire est-il sûr ou non ? Il n’y a pas de réponse claire à cette question. Quelle que soit la pratique que l’on choisisse, une bonne dose de bon sens, de l’entraînement par une exposition régulière au froid, le respect de ses propres limites et un avis médical constituent probablement la recette la plus sûre pour se baigner dans des eaux glacées en toute sécurité.

Quelques conseils avant de vous lancer

  • Allez-y en douceur pour acclimater votre corps et l’habituer au froid. Préparez-vous, par exemple, en prenant des douches froides.
  • Ne nagez / plongez jamais seul.
  • Ne consommez jamais d’alcool avant d’entrer dans l’eau.
  • Entrez progressivement dans l’eau. En cas de polar plunge avec une compagnie de croisière, suivez attentivement les instructions du personnel chargé de votre sécurité.
  • Protégez vos extrémités (chaussures et gants en néoprène). Un bonnet en laine peut aussi être une bonne option.
  • Evitez les changements brusques de température. Par exemple, pas de bain ou de douche brûlante juste après la baignade.
  • Assurez-vous de votre état de santé. Dans le doute, consultez votre médecin avant d’entreprendre une immersion dans le froid.

Mirjana Binggeli, PolarJournal

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