Claude Lorius, un glaciologue enthousiaste | Polarjournal
Claude Lorius en liaison radio avec Dumont d’Urville – Terre Victoria pendant l’été 1959-1960. Image : Photo prise avec l’appareil photo de Claude Lorius / Fonds Lorius / CNRS Images

Mardi dernier, ce glaciologue fort de convictions a disparu à l’âge de 91 ans, laissant derrière lui un héritage riche de découvertes et d’aventures au monde scientifique, mais aussi à un public plus large qui a pris conscience avec lui et ses équipes qu’un réchauffement climatique était en route.

La semaine dernière le climat était à l’honneur, la synthèse du dernier rapport du Giec voyait le jour. Une commission sénatoriale consultait des experts français pour continuer d’affiner leur stratégie polaire. Mais aussi, hélas, Claude Lorius est décédé, lui qui a été un élément moteur pour la science polaire. Devant ce deuil sa famille souhaite rester discrète. Cette disparition a également suscité la tristesse chez une communauté de scientifiques qui a été influencée par un des pionniers de la science des carottes de glace, et plus largement chez ceux qui se sentent concernés par les latitudes polaires ou l’histoire du climat.

En répondant à une annonce dans un journal pour partir en mission, Claude Lorius renonce à une carrière de footballeur. Il participe alors à l’expédition Charcot de 1958 et hiverne en Antarctique avec 2 camarades dans une petite station sous la neige. Il y mesure la météo et la hauteur de la neige dans des conditions rudes. « C’était un aventurier, il a participé à ce premier hivernage osé, c’est un explorateur à l’ancienne avec une radio amateur qui fonctionnera plus ou moins bien, cela a façonné le personnage », décrit Jean-Louis Étienne.

Un début de carrière bien lancé, qui va continuer avec les exploits de carottages de glace. On connaît tous désormais l’anecdote du verre de Whisky et de la glace libérant des bulles d’airs après des centaines ou des milliers d’années d’étreinte, qu’il partage avec le glaciologue australien Bill Budd. L’homme n’a pas seulement eu de l’intuition, mais également de fortes convictions. Assez fortes pour qu’il mène ses projets jusqu’au bout. Dans sa profession de glaciologue, il brillait surtout par sa capacité à convaincre, animer et activer les réseaux.

Claude Lorius a fortement milité pour créer l’Institut Polaire Français avec Paul-Emile Victor, officiellement lancé en janvier 1992. Image : Expéditions polaires françaises / Archipôles, Archives polaires françaises

« C’est lui qui a obtenu l’analyse des échantillons la glace de Vostok, il avait la connaissance des systèmes internationaux de financement, de recherche et surtout un réseau international de collègues et amis, nous explique Catherine Ritz climatologue directrice de recherche à l’Institut des Géosciences de l’Environnement. Il connaissait bien des glaciologues comme l’Australien Bill Budd [1938-2022], Dick Cameron de la National Science Fondation [NSF], il restait en contact avec le Danois Willi Dansgaard, ou encore le suisse Hans Oeschger [1927-1998]. Il était proche des Russes comme Nartsis Barkov ou Volodya Kotlyakov directeur de l’Institut géographique de Moscou. Il fut président du Comité scientifique pour la recherche antarctique [SCAR] un peu avant 1990 ; pour cela il faut connaître du monde. »

« Il a réussi à amener les Américains au centre de l’Antarctique en avion, chez les Soviétiques en pleine guerre froide. » ajoute Catherine Ritz. Cette dernière était étudiante en glaciologie en 1976 à Grenoble où Claude Lorius enseignait. Elle se souvient avoir vu son équipe se préparer pour les premiers forages dans la glace du dôme C à 3 233 m sur la calotte de l’Antarctique avant de défendre sa thèse en 1980 devant un jury où siégeait également Claude Lorius.

« Lors du forage profond de glace à dôme C, entre 1977 et 1978, nous sommes descendus à 900 m, nous confie Dominique Raynaud, chercheur émérite du CNRS, premier thésard de Claude Lorius sur le sujet des bulles d’air dans la glace. Il y avait eu plus grand avant, les USA avaient foré au Groenland avec les Danois, puis proche de la station de Byrd en Antarctique à plus de 2 000 m de profondeur. Les Américains se sont ensuite un peu arrêtés, mais pas Claude Lorius. »

« C’était un homme extraordinaire et il était convaincu qu’en Antarctique on pouvait aller encore plus profond. Claude avait une vision, et il avait l’intuition qu’on allait y retrouver la composition des gaz à effet de serre du passé, c’était son fil conducteur, son fil rouge comme on dit, complète Dominique Raynaud. Il avait une auréole de héros polaire, quand il revenait de mission le teint bronzé par la réverbération de la lumière sur la glace, cela me fascinait. »

Lorsque Dominique Raynaud finissait tout juste ses études, il a écrit à Paul-Émile Victor pour lui demander de partir en Antarctique. Ce dernier lui avait répondu, qu’un certain Claude Lorius pourrait peut-être lui proposer un sujet de thèse. « Il avait son bureau dans une mansarde du Collège de France, près de la Sorbonne. » ajoute son premier disciple.

Les archives du climat

Claude Lorius a joué un rôle de coordinateur pour que les scientifiques de différentes disciplines puissent décrypter l’histoire de l’atmosphère et du climat dans les carottes de glace. « J’étais dans le groupe gaz pour les mesures de CO2 et du méthane, se rappelle Dominique Raynaud. Je m’occupais des quantités de bulles d’air dans la glace. En même temps, Jean Jouzel travaillait sur l’isotopie de la glace qui permet de décrypter les variations de la température. Il y avait aussi un groupe de chimie et de poussière de l’atmosphère. Il s’était entouré de spécialistes. »

Claude Lorius transmettait les valeurs isotopiques mesurées par Jean Jouzel et ses acolytes depuis Paris, à Catherine Ritz par exemple, à Grenoble. « À partir de la composition isotopique et de la profondeur, j’essayais de trouver l’âge de la glace, nous explique-t-elle. Avec le temps, en s’enfonçant, les couches de glace s’amincissent. Pour déterminer leur âge, je devais reconstruire l’histoire mécanique du glacier et des précipitations. » C’est la seule archive où on mesure à la fois la composition de l’atmosphère de l’époque, et la température grâce aux isotopes de l’eau. « À part peut-être des bulles coincées dans de l’ambre », ajoute-t-elle.

Il y a eu un article de Robert Delmas (1940-2023), un glacio-chimiste qui a réussi à préciser la mesure de CO2 dans les carottes de glace et a suggéré que la glace formée au cours des périodes froides était appauvrie en gaz carbonique. Puis, les premières campagnes de dôme C ont permis de tracer le début de la courbe de l’histoire climatique et de remonter à 30 mille ans en arrière. Avec le constat qu’il faisait environ 10°C de moins en Antarctique il y a 20 mille ans pour une quantité moindre de CO2.

Dans la carothèque EPICA à Concordia est entreposée une archive complète de la carotte de glace du projet EPICA, longue de 3 623 mètres et contenant 800 mille ans d’archives climatiques. Image : Thibaut Vergoz / Institut Polaire Français / CNRS / Zeppelin

« Même si le CO2 était connu depuis un siècle pour son potentiel réchauffant, la mesure des gaz à effet de serre dans les carottes de glace a montré le lien entre ces gaz et le climat. Plus celui-ci est chaud, plus il y a de CO2 et de méthane dans l’atmosphère. On a alors compris que ces gaz amplifiaient le réchauffement du climat. » ajoute Catherine Ritz. Ainsi, il a y eu Vostok I, la courbe est remontée jusqu’à 150 mille ans. Vostok II, la courbe est remontée jusqu’à 400 mille ans et on a documenté plusieurs cycles glaciaires-interglaciaires. Finalement avec Epica (dôme C II) dans les années 2000, la communauté scientifique européenne a atteint les 800 mille ans d’enregistrement. « Ce fut l’apogée de Claude Lorius et de son équipe », commente Dominique Raynaud.

« Claude Lorius est devenu à travers sa pédagogie, un inspirateur pour prendre conscience des menaces qui pèsent sur l’avenir du climat, confie Jean-Louis Étienne. Je me suis toujours référé à cette courbe et l’expérience de terrain de Claude Lorius. » L’explorateur et le glaciologue se sont croisés à plusieurs reprises, comme à la fin de la traversée de l’Antarctique en chiens de traîneau de Jean-Louis Étienne, lors de la récupération de l’expédition organisée par Elsa Pény-Étienne qui avait affrété le brise-glace Yamal. « Il était venu pour donner des conférences à bord à plus 150 passagers, complète-t-elle, il était chaleureux et humain. »

Claude Lorius était un vrai meneur d’hommes, enthousiaste pour la glace, la science et l’Antarctique. Communicatif, il avait un pouvoir de présence par sa voix et sa personnalité, il savait être écouté et donner envie à une génération de jeunes de suivre sa voie.

« On était comme une famille qui s’entendait plutôt bien et plus Claude prenait de l’âge, plus l’amitié m’a soudé à lui, reconnaît Dominique Raynaud. Ce fut un grand homme. »

Camille Lin, PolarJournal

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