Besoin d’un nouveau traité pour la coopération polaire ? | Polarjournal
Le ministre Gudlaugur Thor Thordarson avait remis le symbole de la présidence du Conseil de l’Arctique, au ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov pour la présidence russe à Reykjavik, le 20 mai 2021. Image : Gunnar Vigfusson / ministère des Affaires étrangères d’Islande

Le Conseil de l’Arctique basé sur une forme juridique souple, aussi appelée soft law, a souffert des tensions géopolitiques actuelles. Les organisations régies par des traités sont quant à elles plus solides grâce à leurs fondements juridiques. Serait-ce un nouvel axe de travail pour la future présidence de la Norvège ?

Dans bientôt un mois, la Norvège va prendre la présidence du Conseil de l’Arctique. Elle lui sera transmise par la Russie pour deux ans. Or l’isolement de la Russie ne facilite pas les dialogues entre les membres du conseil, puisque rien ne peut se décider sans son accord. Ceci freine la coopération des nations et des peuples autochtones sur les questions environnementales, économiques ou encore maritimes qui sont au cœur des discussions. « C’est un forum et non une organisation définie par un traité qui contraint juridiquement ses signataires », nous explique Timo Koivurova, spécialiste du droit de l’Arctique à l’Université de Lapland en Finlande.

Timo Koivurova ainsi que son collègue Akiho Shibata de l’Université de Kobe au Japon publient le 17 mars dernier dans le journal des presses universitaire de Cambridge les résultats de leur recherche sur l’effet de la guerre en Ukraine sur le système coopératif de l’Arctique.

La soft law en Arctique

Le Conseil de l’Arctique s’est construit sur une entente, non juridiquement contraignante, entre 8 États de l’Arctique et 38 observateurs. « La position des peuples indigènes est parfaitement unique dans ce forum, ils siègent à la même table des négociations que les États nations. C’est la souplesse du statut juridique qui rend possible leur inclusion dans les discussions. Le Conseil de l’Arctique n’a pas de fondations claires d’un point de vue du système juridique international. » décrit Timo Koivurova. Il est basé sur la déclaration d’Ottawa de 1996, un instrument juridique qui est qualifié de soft law par les experts. Ici aucune partie n’est unie par la loi autour de la table, c’est une forme d’engagements mutuels des États pour définir leurs actions futures.

« La soft law peut inciter les parties d’une coopération internationale à se conformer à des déclarations. Personne ne doute que l’ONU a une influence sur le comportement des États. C’est pour cette raison qu’on appelle cela la soft law, cette voie plus douce offre plus de flexibilité dans la façon dont les pays suivent les résolutions de l’ONU. »

Timo Koivurova

Après le 24 février 2022, le Conseil de l’Arctique a été directement touché par l’attaque de la Russie. Le 3 mars, les 7 États occidentaux de l’Arctique ont déclaré qu’ils ne voyageraient pas en Russie pour les réunions, et qu’ils mettraient temporairement leur participation à l’arrêt. La Russie a répliqué qu’elle continuerait d’assumer sa présidence au niveau national afin d’isoler le Conseil des tensions internationales.

La robustesse des traités

Contrairement à la soft law, les traités se sont avérés plus solides dans ce contexte géopolitique, étant donné que les seuils à atteindre pour qu’un État soit exclu dans ce cadre coopératif sont très élevés, selon le droit coutumier de ces traités. « Pour le Traité du Svalbard, les parties sont légalement liées entre elles, la Russie y conserve ses droits, parce qu’il y a des outils écrits qui font référence, comme des lois, des agréments ou des gouvernances, et il existe des conseils juridiques qui aident à leur interprétation. Le Traité de Svalbard n’implique pas de réunion et laisse le contrôle et son application principalement à la Norvège », décrit-il. L’implication de la Russie au Svalbard concerne l’exploitation minière, le tourisme, la pêche ou encore la présence de ressortissants russes bien ancrés sur l’archipel. Ce système de traité ne fait pas figure d’exception.

Les auteurs reviennent sur l’Accord de non-pêche dans les eaux centrales de l’Arctique et ici des réunions virtuelles et physiques ont permis de poursuivre la coopération. « Cet exemple, ainsi que d’autres, montre que dans la plupart des cas, la Russie n’est pas exclue de la table des négociations. D’un point de vue juridique, les parties doivent se demander si elle a contourné des articles du traité en question », complète-t-il.

L’espoir norvégien

Le Canada et la Finlande ont déjà exprimé par le passé le besoin de mettre en place un traité pour consolider le Conseil de l’Arctique. « Il ne m’a pas semblé qu’il y ait une réelle volonté en ce sens ces derniers temps au sein du Conseil. Aujourd’hui pourtant cela aurait été bien utile. Nous allons sûrement faire face à une période avec peu de coopération internationale avec la Russie, mais le Conseil de l’Arctique est encore respecté et il semble que tout le monde veuille continuer à participer à ce forum. Nous avons quelques signaux qui montrent que la Russie le souhaite également », nous explique Timo Koivurova.
La Norvège s’organise pour endosser la présidence du Conseil de l’Arctique ; si le 11 mai la passation a bien lieu, Timo Koivurova pense qu’« il sera difficile pour le Conseil de prendre des décisions rapides qui doivent être votées à l’unanimité. Dans une période géopolitique aussi tendue, les parties restent prudentes. »

C’est une chance que la Norvège soit la prochaine sur la liste de la présidence tournante. Elle a été capable de traiter en tant que membre de l’OTAN avec l’Union soviétique pendant la guerre froide. Pour la Norvège, la situation ukrainienne n’a pas changé son approche, contrairement à la Finlande, pour qui les fondements de sa politique de défense subissent une profonde réforme depuis son adhésion à l’OTAN.

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers l’étude : Koivurova, T., Shibata, A., 2023. After Russia’s invasion of Ukraine in 2022: Can we still cooperate with Russia in the Arctic? Polar Record 59, e12. https://doi.org/10.1017/S0032247423000049

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