Bientôt une vie numérique pour les chiffres Kaktovik | Polarjournal
Kaktovik est située dans le comté de North Slope Borough. La population de la ville s’élève à environ 280 habitants. C’est ici que les chiffres ont été développés pour le langage inupiaq. Image : Google Maps

Inventé il y a près de 30 ans par un groupe d’élèves iñupiaq qui trouvaient les chiffres arabes peu adaptés à leur langue, le système de numération de Kaktovik connaît désormais une renaissance numérique. Après son introduction dans la dernière version d’Unicode, on devrait bientôt le retrouver dans son application numérique.

En 1994, dans une salle de classe de Kaktovik, communauté de North Slope Borough en Alaska. Un groupe d’étudiants et leur enseignant sont occupés par un problème : les chiffres arabes, système de numération qui s’est imposé de manière quasi universelle, ne fonctionnent pas pour leur langue, l’iñupiaq.

En effet, le système arabe est un système décimal alors que les langues eskimo-aléoutes, dont l’iñupiaq, utilisent un système vicésimal, autrement dit une base vingt, ce chiffre correspondant au nombre de doigts et d’orteils d’un être humain. Tout comme les anciens Égyptiens, les Inuit se servent de leurs doigts, leurs mains ou leur corps pour compter et mesurer. Or, difficile de passer d’un mode vicésimal à un mode décimal, d’où les problèmes rencontrés par les élèves de Kaktovik.

Accompagnés par leur enseignant, William Clark Bartley, ils ont alors l’idée de créer leur propre système de numération, un système qui correspond à la manière dont ils comptent en iñupiaq.

Ayant récemment reçu le soutien de la Silicon Valley pour son développement sur les supports numériques, tels que téléphones ou ordinateurs, le système Kaktovik est inclu depuis septembre dernier dans la mise à jour d’Unicode. Ce standard informatique permet à la fois des échanges de textes dans différentes langues et la numérisation des langues écrites du monde.

Un nouveau système pour compter

Pour les étudiants du North Slope Borough School District, leur système devait répondre à un certain nombre de critères. Devant se distinguer des chiffres arabes, leurs chiffres devaient également être faciles à mémoriser, faciles et rapides à écrire sans avoir besoin de lever son stylo. En outre, la relation entre les chiffres et leur signification devait être claire et le tracé agréable à l’oeil.

Il n’existe pas de mot en iñupiaq pour désigner le chiffre zéro. Alors que les élèves se demandaient comment ils pourraient représenter ce chiffre dans leur système, une de leurs camarades a levé et croisé les bras formant un signe de croix. Le symbole pour le zéro était inventé.

Les chiffres Kaktovik. Constitué de vingt chiffres, ils sont basés sur un système vicésimal. Image : Wikicommons.

De un à quatre, chaque chiffre est représenté par un trait correspondant à sa valeur. Puis, dans la colonne de gauche, les chiffres 5, 10 et 15 sont représentés par un nombre de traits correspondant à leur valeur respective dans un multiple de 5. Les chiffres suivants, entre 6 et 19, sont alors formés en combinant les traits.

Le système, bien plus visuel que les chiffres arabes, rend les opération d’addition et de soustraction faciles. En effet, il suffit d’ajouter ou d’enlever des traits pour obtenir le bon résultat :

Exemple tiré de YouTube, The Ferret

Même chose pour les divisions. Nul besoin de calculer, il suffit de compter les traits, comme dans l’exemple ci-dessous où il s’agit de diviser 30’561 par 61 pour obtenir 501 (rappelez-vous que le système n’est pas décimal mais vicésimal).

Le diviseur (en noir) va une fois dans les deux premiers chiffres du dividende (en violet). Je mets donc un (en violet) dans le quotient. Le diviseur va une fois dans les deux chiffres suivants (en rouge). Mais comme ils sont tournés, le quotient est aussi tourné. Enfin, le diviseur va une fois dans les deux derniers chiffres et je mets donc un dans le quotient (en bleu). Soit 501 dans un système vicésimal. Image : Wikicommons

Pour une explication animée du système Kaktovik, voir la vidéo ci-dessous :

Source : Youtube The Artifexian

Une manière de compter qui a failli disparaître

Le système élaboré par les élèves de Kaktovik est d’une simplicité et d’une efficacité remarquables. Mais au-delà de l’aspect mathématique, c’est surtout une part de la langue iñupiaq qui a pu être préservée, le système Kaktovik ravivant le système vicésimal inuit.

Avec la colonisation des populations inuit, commencée dès le 19ème siècle, les Inuit se virent souvent interdire de parler leur langue mais se virent aussi imposer d’apprendre la langue du colonisateur, ainsi que sa manière de compter avec des chiffres arabes et dans un système décimal. Ce fut le cas pour les Iñupiat dont la manière de compter sur une base vingt a bien failli être oubliée.

Le système de Kaktovik, qui fêtera ses 30 ans l’année prochaine, rencontra le succès auprès des Iñupiat, notamment dans des programmes où il était enseigné à côté du système de mathématique à chiffres arabes. Deux ans après sa création, la Commission on Inuit History Language and Culture adoptait les chiffres de Kaktovik. Ces derniers furent même envisagés à l’échelle nationale canadienne.

Quelque peu oublié depuis, son application sur les supports numériques pourrait bien signifier un retour en force de ce système de chiffres auprès des populations iñupiat.

Image de contribution : Wikicommons

Mirjana Binggeli, PolarJournal

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