Des robes rouges accrochées ici et là, sur les branches des arbres, les monuments ou aux portes d’immeuble. Vides, elles symbolisent les femmes dont les vies ont été perdues et cette réalité consternante : au Canada, la probabilité pour une femme ou une fille autochtone de mourir assassinée ou de disparaître est douze fois plus élevée que pour n’importe quel autre groupe ethnique.
La journée nationale de sensibilisation aux femmes, aux filles et aux personnes bispirituelles autochtones, disparues ou assassinées, également connue sous le nom de Journée de la robe rouge, s’est déroulée le 5 mai dernier au Canada. À travers le pays, les membres des communautés autochtones se sont réunis, comme à Ottawa, où une soixantaine d’Inuit se sont rassemblés au park Annie Pootoogook, du nom d’une célèbre artiste inuk, elle-même décédée de manière suspecte en 2016 à l’âge de 47 ans.
Des chants de gorge inuit ont fait écho à ce même message : la violence doit cesser.
Plusieurs actions se sont déroulées au sein des communautés inuit du Canada, comme à Iqaluit où une marche réunissant près de 80 personnes a été tenue. « Nous avons besoin d’action, nous avons besoin de soutien, nous avons besoin que cela se termine », déclarait Amber Aglukark, présidente du Qulliit Nunavut Status of Women Council, un conseil consultatif, à Nunatsiaq News.
Des chiffres inquiétants
Un rapport publié en 2022 par Statistique Canada indiquait que 63% des femmes autochtones a été victimes de violences et près de la moitié a subi des agressions sexuelles.
Un autre rapport établi par la Gendarmerie royale du Canada recensait près de 1 200 femmes et filles autochtones disparues ou assassinées entre 1980 et 2012, chiffre qui pourrait toutefois être porté à 4 000 selon plusieurs organisations autochtones. Les chiffres sont encore plus élevés pour les femmes inuit. Selon des chiffres publiés dans un rapport de 2020 par Sécurité publique Canada, 74% des femmes inuit du Nunavik déclarait subir des violences à la maison et 46% signalait avoir subi une agression sexuelle. En 2016, le Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon détenaient les taux les plus élevés de femmes victimes de violences familiales de tout le pays.
Une réalité que l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) qualifie de génocide. Dans un communiqué de presse publié le 1er mai dernier, l’association demande au gouvernement «de déclarer l’état d’urgence afin de mettre fin au génocide perpétré contre les femmes, les filles, ainsi que les personnes transgenres, Deux-Esprits et de diverses identités de genre autochtones.»
Selon Carol McBride, présidente de l’AFAC, le Canada est en état de crise : «Nous demandons à tous les alliés, organisations et défenseurs de manifester leur soutien en signant une lettre ouverte adressée aux députés fédéraux et aux sénateurs».
La situation est particulièrement dramatique à Winnipeg, dans le Manitoba, où au moins 28 femmes autochtones sont décédées des suites de violences depuis mai 2020, indique Sandra DeLaronde, cheffe de l’équipe de mise en oeuvre du Manitoba MMIWG2S+, un mouvement qui milite pour la fin des violences faites aux femmes, filles et personnes bispirituelles autochtones.
Faire bouger les choses
Bien que les choses bougent lentement, quelques mesures ont tout de même été proposées. Ainsi, Mona Fortier, présidente du Conseil du Trésor et députée d’Ottawa-Vanier, annonçait le 3 mai dernier un financement de 750 000 $CAN (un peu plus d’un demi-million d’euros) en faveur de Pauktuutit Inuit Women of Canada. Ce fonds devrait permettre à l’organisation de s’attaquer aux causes profondes de la violence fondée sur le sexe et de veiller à ce que les femmes et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones et leurs communautés puissent prospérer, comme l’indique le communiqué de presse.
De son côté, la Chambre des communes (la chambre basse du Parlement du Canada) a appuyé à l’unanimité mardi 2 mai une motion faisant des décès et des disparitions de femmes et de filles autochtones une urgence pancanadienne, tout en appelant au financement d’un nouveau système d’alerte à destination du public lorsqu’il y a disparition, calqué sur le modèle du système d’alerte Amber, utilisé aux États-Unis et au Canada lorsqu’un enlèvement d’enfant est signalé.
L’origine de ces robes rouges remontent à 2010 lorsque l’artiste Jaime Black lance son projet REDress, une installation artistique faite de centaines de robes rouges, représentant les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées au Canada. Exposée à l’Université de Winnipeg, l’installation fait tache d’huile : l’artiste reçoit alors des centaines de robes rouges envoyées des quatre coins du pays et le symbole est repris pour souligner la Journée nationale de sensibilisation aux femmes, aux filles et aux personnes bispirituelles autochtones disparues ou assassinées.
Mirjana Binggeli, PolarJournal
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