Des pistes pour réduire l’empreinte de la recherche polaire | Polarjournal
L’Astrolabe a été mis à l’eau en 2017 et assure, entre autres, le ravitaillement des bases françaises en Antarctique. Image : Cécile Pozzo di Borgo

La réduction de l’empreinte carbone de la recherche en Antarctique pourrait passer par une diminution de la vitesse des navires et une coopération internationale quant à l’utilisation des moyens logistiques. Jérôme Chappellaz, ancien directeur de l’Institut Polaire Français, nous décrit des pistes d’améliorations à l’occasion de la sortie d’un rapport sur les impacts environnementaux produits par le Conseil Polaire Européen.

Le 10 mai dernier, le Conseil Polaire Européen (European Polar Board) – une organisation européenne indépendante qui réunit des chercheurs et des opérateurs depuis les années 1995 – publiait un rapport de synthèse pour limiter l’impact environnemental de la recherche dans les régions polaires. Les émissions de C02 sont au cœur de nombreux points et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les stations polaires ne sont pas responsables de la majeure partie des émissions, ce serait plutôt les navires d’avitaillement, les avions de recherches ou de transport, selon Jérôme Chappellaz, coauteur du rapport, glaciologue et ancien directeur de l’Institut Polaire Français (IPEV).

La consommation énergétique des bases est un secteur sur lequel il est plus difficile de faire des économies, au risque de compromettre la sécurité du personnel. L’hiver, il n’y a pas de lumière pour les panneaux solaires et le vent peut s’arrêter. « Concordia utilise 250 m3 de fioul à l’année pour 3 000 m2 de bâtiment. Il y a 65 personnes l’été et 13 l’hiver. » précise-t-il. La station belge Princesse Élisabeth, base pilote pour le développement d’une science sans émission de carbone, n’est ouverte que l’été et héberge au maximum 20 personnes. En cas de coupure de l’approvisionnement solaire et éolien, elle est reliée à un groupe électrogène diesel.

La station Princesse Elisabeth se situe sur la Terre de la Reine-Maud à 1 400 mètres d’altitude, à 180 kilomètres des côtes et à 1 500 kilomètres d’une station japonaise et d’une base russe. Image : René Robert / International Polar Fondation

Des pistes d’amélioration incluent la réduction de la vitesse des navires et la création d’une plateforme communautaire pour que la logistique actuelle soit partagée de façon efficace. « En 2019, année de référence pré-covid, j’ai demandé le calcul du bilan carbone de l’Institut Polaire Français. La plus grande partie des émissions, c’était le transport, notamment les navires, dont à 60 % celui ravitaillant l’Antarctique, l’Astrolabe. Il consomme 25 m3 de fioul à la journée et fait 5 allers-retours par campagne avec l’Australie. » explique Jérôme Chappellaz.

Suite à quoi il a demandé que la vitesse de traversée du brise-glace soit réduite de 2 nœuds pour économiser 10 m3 de fioul par jour, mais il n’a pas eu gain de cause. La Marine Nationale privilégie le slalom entre les tempêtes pour la sécurité du matériel au grand dam de l’Institut Polaire Français, qui paye le carburant et comptabilise ces émissions. « Cette simple mesure pourrait réduire, de près de 40 %, les émissions dues à la logistique en Antarctique », complète-t-il.

Échange de bons procédés

Une autre façon de réduire la combustion d’énergie fossile serait de s’assurer que chaque déplacement soit optimisé. « En avril dernier, j’étais en campagne océanographique avec le brise-glace norvégien, nous étions 15 scientifiques à bord pour une capacité de 35 personnes », se souvient-il. Pour éviter cette situation, il y a déjà des systèmes en place. L’Espagne et quelques pays comme la Pologne troquent entre eux des services autour de la péninsule Antarctique, pour du personnel ou du fret. « Ils se sont mis d’accord sur la valeur unitaire de ces services à bord d’un navire, d’un avion ou d’un hélicoptère », explique le chercheur.

Autre exemple : l’Institut Polaire Français et la Division Antarctique Australienne échangent un détour de l’Astrolabe vers l’île Macquarie contre des places dans des avions entre l’Australie et l’Antarctique. Selon Jérôme Chappellaz, il faudrait généraliser ce principe à l’ensemble du continent blanc et l’étendre à l’Arctique.

Une autre manière d’accéder à des terrains d’études est celle des navires à passagers des compagnies touristiques. Image : Ponant

« Il faudrait que la communauté polaire améliore sa manière de faire de la science avant qu’elle ne puisse critiquer les tour-opérateurs », ajoute-t-il. L’utilisation des navires touristiques par les scientifiques est controversée. « Le tourisme n’est pas interdit par le code polaire, ni par le traité de l’Antarctique. Il serait donc doublement polluant que les scientifiques s’abstiennent de monter à bord et dépêchent un autre navire pour travailler dans la zone en parallèle. » remarque le chercheur de façon pragmatique.

Mais cette question présente des limites selon lui : « Les compagnies touristiques ne doivent pas entraver les choix scientifiques, ne pas les utiliser pour leur marketing, ni pour obtenir des accès favorisés à des zones sensibles. »

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers le rapport : Elshout, P., Chappellaz, J., Gibéryen, T., Hansen, C., Jania, J., Jones-Williams, K., Nolan, J., Reverdy, B., Topp-Jørgensen, E., Yılmaz, A., Badhe, R., 2023. Synthesis Report on the Environmental Impacts of Polar Research and Logistics in the Polar Regions. Zenodo. https://doi.org/10.5281/zenodo.7907235

En savoir plus sur le sujet :

Print Friendly, PDF & Email
error: Content is protected !!
Share This