La science polaire française freinée par le manque de moyens et de visibilité | Polarjournal
Dumont d’Urville, base française scientifique côtière française de l’Antarctique. Image : Wikicommons CC BY-SA 3.0

Un rapport de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire publie un rapport d’information qui dessine les contours budgétaires de la stratégie polaires française et pointe un manque de moyens et de visibilité pour assumer ses ambitions.

L’image d’Épinal de la science polaire est-elle uniquement blanche avec du givre dans la capuche n’aurait-elle pas légèrement les poches trouées ? Début juin la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire publie un rapport d’information sur la recherche polaire en France. Elle rappelle que les instituts manquent de financements pour mener ce type de recherches et maintenir sa renommée et son influence internationale.

L’équipe du convoi de véhicules de l’Institut Polaire Français est en sous-effectif, celui qui traverse l’Antarctique entre Dumont d’Urville et Concordia. Le siège de l’Institut à Brest manque de personnel. La mise à disposition d’agents du Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) a été réduite. L’Institut estime que la subvention actuelle de l’État de 15,2 millions d’euros devrait s’élever à 21 millions pour son fonctionnement correct.

Station Concordia, à 3 233 mètres d’altitude, posée sur le dôme de glace. Image : ESA

Dans les bases, la situation n’est pas meilleure, la rénovation de Dumont d’Urville est estimée à environ 100 millions d’euros, pour améliorer son l’isolation thermique et son empreinte environnementale. La station franco-italienne Concordia est dans une situation comparable et devrait bénéficier, au total, de 33,9 millions d’euros pour des travaux étalés sur la décennie 2020-2030. Le rapport explique que l’Institut Polaire Français a déjà dépensé 5,61 millions d’euros mais n’a encore rien reçu de la part de l’État français qui s’est engagé à hauteur de 15 millions.

Moyens nautiques

Les laboratoires français d’océanologie auraient besoin de moyens nautiques : un brise-glace armé pour la recherche. Ils aimeraient mener leurs propres campagnes d’océanologie, proche de la banquise ou à la dérive dans la glace en hiver. En attendant, ils construisent des projets avec d’autres nations, à bord de leurs navires, et négocient les résultats obtenus.
Selon Mickaël Bouloux, principal rapporteur de la commission, cet investissement représenterait 100 à 200 millions d’euros. L’Allemagne souhaite investir 1 milliard de son côté pour remplacer l’actuel Polarstern.

Le dernier brise-glace français : l’Astrolabe. Image : Cécile Pozzo di Borgo / Wikicommons

Pourtant, la France possède un navire de capacité glace capable de rejoindre l’Antarctique. Le bâtiment est Marine Nationale et l’Institut Polaire Français l’affrète déjà 120 jours par an pour ravitailler Dumont-d’Urville. L’idée d’armer l’Astrolabe pour la science océanographique serait une alternative en Antarctique. Mais pas valable en Arctique puisqu’il assure aussi des missions de défense dans l’océan Indien.

Des accords entre l’Ifremer et le Canada pourraient permettre d’accéder au brise-glace nord-américain Amundsen, en échange de l’accès privilégié aux territoires subantarctiques français, ou aux autres navires océanographiques.

La flotte de « navires d’opportunité » privés rend aussi des services, par exemple le trimaran Arctic Lab ou le monocoque Vagabond. Ce dernier trace depuis 20 ans des routes autour de l’Arctique. Son équipage mesure par exemple l’épaisseur de la banquise ou plonge sous la glace. Cependant, cette échelle de travail ne répond pas à l’ensemble des besoins énoncés par la communauté scientifique.

Le principal rapporteur n’est par ailleurs pas en faveur du brise-glace Commandant Charcot de la compagnie Ponant, qui met à disposition des scientifiques 4 places à bord et un espace de travail pour qu’ils accèdent aux espaces polaires. Selon le document, cela représente seulement 1,63 % des passagers et « le risque d’un tel navire serait alors celui d’un écoblanchiment », écrit le rapporteur.

À bord du Commandant Charcot, il y a « autant de jacuzzis que de chercheurs » précise le rapport de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Image : Ponant

Ce navire n’est pas en mesure de mener de campagnes scientifiques, seulement des opérations d’opportunités. L’ambassadeur des pôles Oliver Poivre d’Arvor stipulait dans sa Stratégie polaire de la France à horizon 2030 que cela ne remplacerait pas les services d’un brise-glace océanographique mais reste « un plus très appréciable ».

« Le principal problème avec ces navires d’opportunité, c’est la sélection de programmes scientifiques car dans la recherche publique il existe un processus », explique Anne Choquet, juriste du droit polaire et directrice du Comité National Français de Recherche en Arctiques et Antarctiques. Ce comité réunit une majeure partie des laboratoires de recherche qui travaillent dans les pôles.

En mai dernier, Jean-Charles Larsonneur, député français et membre de la commission chargée d’élaborer la stratégie polaire exprimait son inquiétude concernant la stabilité politique des pôles rappelant que la science avait aussi un rôle à jouer en ce sens. « Il ne faut pas oublier le rôle des sciences humaines et sociales dans ce domaine », explique Anne Choquet.

En Antarctique, il n’y a qu’une seule base comparable à Vostok (Russie) et Amundsen-Scott (USA), c’est Concordia (France et Italie). Mais, est-ce que la base sera encore utile une fois le projet phare de la station, Beyond Epica, terminé ? L’entretien annuel de la station polaire est estimé à 10 millions d’euros par an. L’Institut Polaire Français s’oppose à l’idée de son démantèlement, qui coûterait plusieurs millions d’euros. Sa session à une autre nation entraînerait sans doute des répercussions géopolitiques.

Un problème de visibilité

Le rapport relève également le problème de visibilité de cette recherche parmi les politiques et le grand public, ces derniers ne saisissant pas l’ampleur des enjeux. La France est bardée d’experts polaires sur lesquels les médias et les politiques pourraient s’appuyer. Parfois ces derniers ne souhaitent pas s’exprimer à travers les médias, mais bien souvent, les scientifiques ont peu de temps pour se faire connaître, concentrés sur la recherche de financements.

« La science polaire peut faire rêver et c’est bien, mais il y a plein de sujets moins sensationnels, très importants que les médias n’abordent pas assez, peut-être parce que c’est moins visuel », ajoute Anne Choquet. Ces espaces peu peuplés possèdent des ressources convoitées. De nouvelles voies de transport de marchandises ou de données pourraient changer les rapports de forces entre nations. Les chercheurs questionnent par exemple le partage des informations enregistrées par les observatoires, la pêche ou le droit maritime. La protection de l’environnement et du climat est le principal projet international qui sert au maintien d’un équilibre diplomatique dans les pôles.

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers le rapport : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_fin/l16b1315_rapport-information

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