Le Groenland est une des régions du monde les plus touchées par le changement climatique. Sa population principalement Inuit, en constate les effets, mais à la grande surprise d’une enquête sociologique, ils sont nombreux à ne pas être conscients des causes et de la responsabilité humaine.
Si vous décrochez votre téléphone et que vous demandez à une personne vivant au Groenland – elle sera dans 90 % des cas Inuit – si elle éprouve et conçoit que le climat est en train de changer, vous avez 80 % de chance qu’elle vous dise oui. Les Groenlandais sont statistiquement deux fois plus prompts à déclarer qu’ils ressentent les effets du changement climatique que dans le reste de l’Arctique. Le plus étonnant et paradoxal, c’est qu’en demandant si cette personne pense que l’être humain en est la cause, vous avez une chance sur deux qu’elle vous réponde non. L’enquête sociologique publiée lundi dans Nature Climate Change met en lumière ce paradoxe qui touche la société groenlandaise. Les six chercheurs qui ont travaillé sur le sujet viennent du Danemark et du Groenland, mais aussi des États-Unis d’Amérique et du Canada.
C’est la première fois qu’une étude sociologique sur le changement climatique est menée au Groenland, depuis 2010, la seule région de l’Arctique qui n’a pas été sondée. » Ce qui est extrêmement ironique, car les personnes dont nous parlons sont de loin les plus touchées de l’Arctique », explique Kelton Minor, statisticien des sciences sociales de l’Université Columbia à New York.
À l’est et au nord-ouest de l’île, le score de proximité psychologique aux impacts du changement climatique augmente, 85 % des habitants interrogés ressentent les effets du changement climatique. « Les populations qui vivent dans ces régions sont en première ligne en ce qui concerne la réduction de la glace de mer » précise l’auteur. Les Inuit de ces régions vivent principalement sur l’eau et la banquise, dépendant essentiellement de la chasse et de la pêche. Le retrait de la banquise est synonyme de perte d’espace vital. Parmi eux, moins de la moitié sont conscients que la cause de ces changements est l’activité humaine.
Lorsque l’étude s’intéresse aux catégories sociales, seulement 42 % des pêcheurs et des chasseurs sont conscients de l’origine des changements alors que 85 % d’entre eux déclarent les constater. Dans la capitale, 61% des sondées sont conscient des origines des changements qu’ils éprouvent dans 71 % des cas.
Mais alors quelle serait l’origine de ce qui nous semble si paradoxal ?
Les chercheurs pensent avoir identifié la source de ce phénomène qui s’accentue dans les petits villages de pêcheurs et de chasseurs ayant une orientation culturelle différente. « En Kalaalit, le terme Sila désigne l’esprit de l’atmosphère et du temps qu’il fait, mais aussi de la conscience et de l’idée d’esprit humain. Il est très intéressant de noter que l’esprit est un mélange de phénomènes météorologiques et de conscience humaine », explique-t-il.
Les habitants du Groenland sont plus proches des changements climatiques de par leur mode de vie et leur croyance. On pourrait se demander pourquoi ils n’identifient pas la cause humaine de ces changements. Dans les pays occidentaux, cela est bien étudié, l’opinion sur les causes du changement climatique a souvent divergé en fonction de positions idéologiques et socioéconomiques des populations sondées. L’affaiblissement des prises de conscience peut être accentué par l’intérêt des industries des combustibles fossiles. « Mais le Groenland n’est pas les plus grands producteurs de gaz et de pétrole de l’Arctique, c’est le plus petit », explique Kelton Minor. Un paradoxe supplémentaire apparait donc aux yeux des chercheurs.
Le Groenland est l’une des places fortes des études internationales atmosphériques, des études de la cryosphère et une importante partie de la communauté scientifique séjourne sur l’île, mais « les informations essentielles sur le changement climatique n’ont pas infusé la société de l’île, il y a un fossé énorme entre la science et les habitants » nous explique l’auteur. La jeunesse en témoigne dans l’étude, moins consciente que les adultes des mécanismes du changement climatique.
Dans le reste du monde on fait plutôt le constat opposé, ce sont les jeunes qui stimulent la société libre à réagir et s’adapter. Selon l’étude, il est très important que ce sujet soit étudié dans les lycées au Groenland. De nombreuses communautés n’ont cependant pas encore accès à l’enseignement secondaire dans les petits villages. Kelton Minor rappelle également que « selon la littérature scientifique, la conscience des causes du changement climatique est un très bon prédicteur de la capacité d’adaptation à ses effets permettant de prendre des mesures et en particulier de planifier à long terme ».
Camille Lin, PolarJournal
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