Utilisation d’échantillons biologiques à des fins de recherche secondaire sans autorisation ou biopiratage de leurs connaissances à des fins d’exploitation commerciale, tels sont quelques exemples des violations des droits autochtones par les chercheurs. « De telles pratiques sont courantes, ce qui amplifie la nécessité pour les chercheurs de veiller à ce que les peuples autochtones aient la vision d’ensemble, le pouvoir et l’autorité de déterminer quoi, comment et pourquoi la recherche se déroule sur leurs territoires. », notent les auteurs d’un article récemment paru dans Science et qui porte sur la responsabilité des chercheurs face aux droits des populations autochtones.
Reprenant la Déclaration des droits des peuples autochtones, les auteurs ont identifié les articles de la déclaration pertinents pour les chercheurs résumés en quatre thèmes principaux : autodétermination, consentement, propriété intellectuelle, engagement et apprentissage. Autrement dit, il s’agit d’inclure les communautés et leur savoir dans la recherche, mais aussi obtenir leur consentement dans la conduite de travaux de recherche les touchant de près ou de loin, tout en respectant leur propriété intellectuelle et favoriser le travail avec elles.
Car si la recherche scientifique est bénéfique à notre compréhension du monde, elle peut causer du tort à des populations souvent peu, voire pas du tout, impliquées dans les travaux de recherche. D’où la nécessité d’en appeler à la responsabilité des chercheurs : « La façon dont la recherche est menée peut avoir des répercussions sur les droits, l’autodétermination et la souveraineté des Autochtones, en particulier lorsque la recherche se déroule sur des terres et des eaux autochtones et implique les peuples autochtones, leurs connaissances, leurs sagesses, leurs éléments culturels, etc. », relèvent les auteurs. « À ce titre, les chercheurs peuvent contribuer à des changements politiques plus larges nécessaires pour garantir que les droits inhérents des peuples autochtones soient reconnus dans tous les aspects de la société », remarquent-ils dans leur conclusion.
Si les recommandations et les conclusions des auteurs ne sont pas nouvelles, elles permettent de remettre la compresse sur un sujet crucial : l’absence des peuples autochtones en tant qu’acteurs dans la recherche scientifique. Et la recherche en Arctique ne fait pas exception.
Héritage d’un passé colonial et raciste
Dès les premiers contacts entre Inuit, explorateurs et chercheurs, les Inuit ont été largement considérés comme objets d’étude ou comme aides d’appoint aux Occidentaux, partis à la découverte de ces territoires qu’ils considéraient finalement à tort comme vierges et inconnus. Même si leurs techniques de survie et leurs connaissances de l’environnement arctique ont été largement reprises, notamment par les explorateurs, la parole et l’expertise autochtone étaient en revanche rarement prises au sérieux. Cette attitude d’infériorisation vis-à-vis des populations autochtones arctiques, ainsi que le colonialisme et le racisme qui ont largement marqué l’histoire de ces communautés, se retrouvent encore aujourd’hui dans les pratiques de recherche.
Un constat déjà établi dans un rapport publié en 2018 par l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), organisme représentatif national des 65 000 Inuits du Canada. « Le mot « recherche » suscite de fortes réactions chez les Inuits du fait que, par le passé, les chercheurs ont été et continuent d’être les bénéficiaires principaux de la recherche portant sur notre peuple, et sur la faune et l’environnement. », note Natan Obed, président de l’ITK. « Tout en reconnaissant le rôle important joué par la recherche pour éclairer les mesures qui créent des communautés plus sécuritaires, plus résilientes et plus saines, les Inuits de l’ensemble de l’Inuit Nunangat [région qui englobe les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut, le Nunavik et le Nunatsiavut, ndlr] maintiennent depuis longtemps que les chercheurs et les établissements de recherche devraient respecter l’autodétermination des Inuits en matière de recherche au moyen de partenariats qui favorisent l’efficacité, l’incidence et l’utilité de la recherche. »
Les pratiques traditionnelles et le savoir des Autochtones pourraient en outre représenter un plus dans la recherche scientifique, en particulier sur la question du changement climatique qui bouleverse les régions arctiques et dont ces populations sont les premiers témoins.
Heureusement, le changement semble se profiler à l’horizon. Les projets scientifiques intègrent le savoir autochtone dans leurs recherches, et les institutions scientifiques ont établi des lignes directrices pour améliorer la collaboration et la communication entre les chercheurs et les communautés locales dans l’Arctique. Des projets tels que « GreenFjord » de l’Institut polaire suisse, axé sur l’écosystème des fjords dans le contexte du changement climatique, ont intégré une dimension humaine à leurs travaux. En interrogeant les résidents locaux, les chercheurs tenteront de déterminer leurs besoins actuels et futurs et leur dépendance à l’égard de l’écosystème du fjord. Une manière de mettre les connaissances scientifiques au service des communautés locales.
Mirjana Binggeli, PolarJournal
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