Un lys de mer naviguant sur un crabe dans les fjords du Svalbard | Polarjournal
Goélette à trois mâts de 48 mètres fabriqué en 1985 dans les chantiers navals de Gdańsk en Pologne, de conception de Zygmunt Choreń. Image : Kajetan Deja / Katarzyna Dragańska‑Deja / Jan Marcin Wesławski / IO PAN

Depuis le pont de leur magnifique voilier, dans un décor naturel à couper le souffle, des chercheurs étudient un lys de mer opportuniste qui embarque sur le dos d’un crabe.

Depuis la plage arrière d’Oceania, un voilier d’expédition polaire polonais, des océanographes ont placé des pièges photos à 35 mètres de fond, dans les fjords ouest du Svalbard, entre 2015 et 2020. « Oceania est incroyablement marin et vous pouvez faire de très bonnes recherches depuis son pont, décrit Kajetan Deja, océanologue de l’Institut d’Océanologie de l’Académie des Sciences Polonaise. La navigation sur cette unité est en quelque sorte romantique et vous offre un bon contact avec l’eau et la nature environnante. » Son équipe de chercheurs vient justement d’éplucher les enregistrements et une découverte s’est offerte à eux. Un peu comme les océanographes sur leur voilier, des lys de mer s’amarrent sur le dos de crabes qui se déplacent, alors que cet animal filtreur est habituellement accroché sur le fond.

Cette association curieuse et unique en son genre vient d’être décrite pour la première fois dans Polar Biology le 8 juillet dernier. Selon les auteurs, le lys de mer en question, Heliometra glacialis, se déplacerait de la sorte vers de nouveaux espaces ouverts par le retrait des langues glacières. Un lys de mer n’est pas une plante, malgré son nom et son apparence. Il appartient au groupe des Crinoïdes, proche des oursins, des concombres de mer et des étoiles de mer.

Cette espèce vit dans l’hémisphère nord, dans les eaux froides de l’Arctique. « Il a souvent été répertorié sur le plateau extérieur de la mer de Barents, du Groenland et de l’Atlantique Nord. » décrit précisément Kajetan Deja. Ce lys de mer préfère normalement l’eau libre aux baies ou aux petits fjords parce qu’ « il a besoin de forts courants et des mouvements d’eau, des conditions généralement propres aux bords du plateau. » explique-t-il. Pourtant, les lys chevauchant des crabes ont été détectés sur les pièges photos sous-marins du fond de Mijenfjorden et d’Eklanfjorden, au Svalbard, dans les panaches sédimentaires des glaciers en fonte. Alors, pourquoi voyagent-ils jusque-là ?

Dans ces espaces nouvellement libérés, un nouveau phénomène les attirent : les cascades sous-marines de planctons. Les petits organismes d’eau salée comme les copépodes ou les diatomées meurent au contact de l’eau douce des estuaires. « Les courants d’eau douce entre la terre et la mer sont accélérés par le réchauffement climatique », explique Agnès Baltzer, sédimentologue de l’Université de Nantes. Les planctons chutent donc dans la colonne d’eau. « Heliometra glacialis se nourrit de matière organique fraîche en suspension, de grandes diatomées et de zooplanctons, principalement des copépodes », détaille Kajetan Deja.

La présence d’Heliometra glacialis dans les fjords du Svalbard est une surprenante découverte. Image : Erwan Amice / PRIVARC / CNRS

Le lys filtre l’eau fixé sur le substrat. « Le fond le plus typique pour cette espèce est le gravier mélangé à de la vase et du sable. » décrit-il. Pour trouver de quoi se nourrir, il peut se déplacer par ses propres moyens, en marchant à l’aide de ses cirres ou porté par le courant. Alors, pourquoi se fixer sur le dos d’un crabe ?

Près des langues glaciaires, la surface sous-marine très instable et la turbidité de l’eau n’est a priori pas propice aux lys de mer, sauf s’ils trouvent un support solide comme un crabe. Ceci pose une nouvelle question : serait-ce une symbiose ? Et bien, il ne semblerait pas, puisque le lys peut se décrocher, et contrairement aux océanologues d’Oceania qui naviguent dans l’Arctique, il peut quitter le navire à tout moment.

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers la publication : Deja, K., Dragańska-Deja, K., Wesławski, J.M., 2023. New strategies for the new environment in Spitsbergen fjords (Arctic). Scattering of the feather star Heliometra glacialis (Echinodermata, unstalked crinoid) clinging to a crab. Polar Biol. https://doi.org/10.1007/s00300-023-03171-3

En savoir plus sur le sujet :

Print Friendly, PDF & Email
error: Content is protected !!
Share This