Quatre cent cinquante millions d’euros pour rester influents dans les pôles | Polarjournal
Le lidar de Concordia explore la couche limite atmosphérique : Image : ESA / Institut Polaire Français / PNRA / Stijn Thoolen

Un projet de loi aligne les budgets de la recherche polaire sur l’ambition historique de la France dans ces régions, à présent dans les mains de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation.

Le 20 juillet dernier, un groupe d’étude transpartisan de l’Assemblée nationale a déposé la proposition de loi « Programmation polaire pour les années 2024 à 2030 », dans laquelle les députés estiment que 449,4 millions d’euros sont nécessaires pour remettre la France à la table des négociations polaires, maintenir la présence française en Antarctique et développer de nouveaux programmes de recherches qui s’alignent sur la dynamique internationale.

« La recherche polaire française souffre, depuis plusieurs années, d’un manque d’investissements, autant humains que financiers qui aura pour conséquence de limiter, à moyen terme, la capacité de la France à peser dans le concert des nations polaires si aucun sursaut n’était décidé. » annonce le point 3 du rapport qui l’accompagne. Le projet de loi vise à donner à l’Institut Polaire Français et aux programmes de recherche une cure de jouvence et la possibilité de se projeter plus sereinement.

Les enjeux sont à la fois de l’ordre de la connaissance et de la protection de l’environnement – aussi bien du côté du climat que de la biodiversité -, mais ils sont également de l’ordre de la diplomatie. En effet, à Paris en mai dernier lors des Journées Scientifiques du CNFRAA, société savante polaire française, Jean‑Charles Larsonneur, député de Brest et coauteur de la proposition de loi, rappelait que l’occupation du terrain par la science est un excellent levier diplomatique pour stabiliser les tensions et maintenir les discussions internationales dans le sens du bien commun.

Tension sur le krill

Parmi les sujets brûlants de discussion qui unissent les nations polaires en Antarctique, il y a la pêche au krill et des poissons lanternes. Pour le krill, les captures ont doublé en 10 ans et ont atteint 450 000 tonnes par an. La biomasse de poissons lanternes est la plus grande de poissons mésopélagiques dans l’océan Austral. Ces animaux sont convoités et dépendent de la couverture de la banquise. C’est pourquoi la proposition de loi prend en compte le souhait de mettre à l’eau un navire océanographique français à capacité glace, capable de suivre et d’établir une présence française autour de ces ressources.

L’Astrolabe, brise-glace de la Marine Nationale, n’est pas en mesure d’assumer pleinement des missions océanographiques au large de la terre Adélie, il est utilisé à plein temps et assure des missions de logistique et de défense. « Il faudrait pouvoir faire de l’océanographie par mission de plus de 10 à 15 jours, explique le directeur de l’Institut Polaire Français Yan Ropert-Coudert, et être prêts pour les grandes initiatives scientifiques de 2027, sous l’égide du Comité scientifique pour la recherche en Antarctique, qui mettront en route de manière synchronisé des protocoles à terre et en mer, tout autour de l’Antarctique et réuniront un grand nombre de nations comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Australie et la Norvège. » La proposition de loi replacerait donc la France parmi les États influents, acteurs de ces sujets émergents, comme elle le fut pour le changement climatique.

Nouvelles normes énergétiques

En partie dévoilé par les scientifiques polaires français, incarnés par Claude Lorius, le changement climatique impose aujourd’hui à la science une nouvelle étape : se décarboner. Le rapport planifie la reconstruction totale de Dumont-d’Urville, qui fêtera bientôt ses 70 ans. « Nous travaillons sur les plans d’un bâtiment unique en nous inspirant de ce qui a déjà été fait ailleurs concernant les énergies renouvelables et les matériaux de construction, afin de diminuer la consommation de fioul », explique Yan Ropert-Coudert.

Le plan de budgétisation de l’action polaire française, en millions d’euros, divisé en 5 postes de dépenses. Graphique : Camille Lin / Flourish

L’infrastructure est vitale pour subvenir aux besoins des scientifiques qui pilotent des projets sur place. La rénovation d’outils de mesure l’est tout autant, à l’instar de l’antenne SuperDARN à Kerguelen, qui sonde l’ionosphère, ou le télescope ASTEP, qui observe d’autres systèmes solaires que le nôtre. « Planifier la recherche c’est bien pour s’engager sur de gros instruments à long terme, mais il faut rester souple et être capable de saisir un moment opportun, comme l’apparition d’une nouvelle technologie, ou d’un nouveau champ de recherche, c’est pourquoi nous avons besoin de prévoir une enveloppe budgétaire non attribuée », complète le directeur.

Ce dernier a été consulté par la délégation parlementaire qui a réuni les acteurs polaires au préalable de ce projet de loi. Certes, les représentants des sciences humaines et sociales ont été écoutés, mais leurs besoins pour élaborer des outils politiques et juridiques, et une gouvernance des pôles de qualité n’ont pas été précisément définis. Leurs travaux seraient cruciaux pour conseiller le Comité interministériel des pôles (CIPOL), que le rapport propose de créer. Qui pourrait plaider efficacement à la table des négociations si ce n’est les juristes spécialistes du droit polaire ? Derrière chaque scientifique, il y a un diplomate, mais qui serait vraiment capable de préparer une politique des sciences si ce n’est un spécialiste de la rhétorique ?

La proposition de loi est maintenant entre les mains de « la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale », précisent les députés.

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers le projet de loi (en français) : « Programmation polaire pour les années 2024 à 2030« 

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