Krill – « Le coût réel de la pêche durable devrait inclure l’investissement dans la recherche » | Polarjournal
Souffle visible d’un groupe de baleines se nourrissant de krill tandis qu’un chalutier pêche parmi elles. Photo : Sea Shepherd Global / Flavio Gasperini

Des divergences sont apparues au sein de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR), apparemment de la part de ceux qui souhaitent développer la pêche au krill depuis qu’il est question de quadrupler le seuil de capture autour de la partie occidentale de la péninsule Antarctique, actuellement de 155 000 tonnes. Depuis 2021, lors des négociations, certains pays ont reconnu l’importance de mesures de protection pour la gestion du krill antarctique afin de soutenir le principe de précaution de la Commission en matière d’exploitation. Philip N. Trathan, professeur invité à l’Université de Southampton et expert en biologie, écologie et gestion des écosystèmes de l’océan Austral, a publié un article dans la revue Marine Policy à la fin du mois de juillet, dans lequel il s’appuie sur ses 30 années d’expérience au sein de la délégation britannique à la CCAMLR pour décrire les besoins actuels en matière d’amélioration de la gestion.

La CCAMLR compte 27 membres et fonctionne par consensus. Dix autres États ont adhéré à la Convention, mais n’en sont pas membres. Photo : Dan Broun

La CCAMLR exige de respecter le principe de précaution et de veiller à ce que la pêche ne déséquilibre pas les chaînes alimentaires au détriment des manchots, des phoques et des baleines, en capturant trop de krill. Il est question de mieux surveiller les impacts de la pêche sur cette ressource vitale. Comment faire ?

Au Royaume-Uni, nous avions deux navires de recherche polaire, et maintenant nous n’en avons plus qu’un seul qui se rend dans les stations et les camps scientifiques pendant l’été. Pour pallier le manque de données sur l’abondance et la distribution du krill dans l’espace et dans le temps, la science devrait être plus automatisée, en utilisant des outils satellitaires, des outils océanographiques tels que des planeurs, ou des déploiements terrestres de drones aériens et de caméras automatiques. Cela serait moins coûteux sur le plan logistique, mais nécessite bien sûr des investissements. Avec la surveillance automatique, il y a encore un long chemin à parcourir pour être aussi précis qu’à bord d’un navire, mais l’un des points clés est que la surveillance automatique consomme moins de carbone.

Le coût réel de la pêche durable devrait prendre en compte les investissements dans la recherche, qui sont nécessaires à la science et vont au-delà du travail des observateurs embarqués, surtout si l’on veut que cette pêche reste précautionneuse. Conformément au principe du pollueur-payeur, il est clair que le secteur doit jouer un rôle actif dans l’amélioration de la recherche et de la surveillance, étant donné les avantages qu’il tire des ressources marines vivantes de la zone de la convention.

Existe-t-il des collaborations sur le terrain ?

Comprendre le changement climatique, comprendre le rétablissement des baleines à bosse, comprendre l’impact de la pêche – ces questions sont trop vastes pour que les membres de la CCAMLR puissent y répondre seuls ; nous avons donc besoin d’une coalition internationale qui produise de bonnes données et sache où aller pour les collecter. Il serait donc moins efficace pour les pays individuels d’agir sans consultation, il est donc important de mettre en place une surveillance internationale qui soit collaborative et diversifiée. La surveillance de l’écosystème sera une garantie importante, à mesure que la pêche au krill se développera.

L’Argentine et le Chili ont élaboré une proposition de zone marine protégée dans la péninsule Antarctique et autour des îles Orcades du Sud. Ils ont utilisé des données provenant de nombreux États membres pour élaborer leur proposition, en se fondant sur les meilleures données scientifiques disponibles. La désignation d’aires marines protégées (AMP) constituerait une mesure de protection importante face à l’expansion de la pêche au krill.

Dans le cas du krill, les études ont cherché à déterminer la biomasse près de la péninsule Antarctique et autour des îles Shetland du Sud afin d’évaluer la quantité qui pourrait être récoltée en toute sécurité. Cependant, le besoin de données de surveillance et de zones marines protégées demeure.

Mais si vous pêchez tout en essayant de surveiller les effets du changement climatique, comment pouvez-vous distinguer et comprendre ces effets séparément ?

C’est une question très difficile. Si vous pêchez, vous risquez d’affecter le stock ; le changement climatique est également susceptible d’affecter le stock ; en outre, la reconstitution des baleines à bosse précédemment exploitées aura également un impact sur le stock. Tous ces impacts différents signifient que le suivi sera complexe. C’est pourquoi vous avez également besoin de zones de référence climatique où la pêche est exclue, afin d’aider à démêler les facteurs de changement confondus. Les zones de référence climatique doivent être situées dans des endroits où l’on sait qu’il n’y aura probablement pas de changement.

D’autres études suggèrent que l’océan s’acidifie, parce qu’il y a plus de dioxyde de carbone dans l’eau, ce qui aura un impact sur les premiers stades de développement du krill. Il sera donc très important de comprendre l’impact du changement climatique en termes de température et d’acidité sur les larves de krill.

La CCAMLR est confrontée à une polarisation croissante sur la question du krill et des zones marines protégées. Comment améliorer la collaboration au sein de la CCAMLR pour atteindre ces objectifs de gestion et de protection ?

La première aire marine protégée a été approuvée par la CCAMLR en 2009, et la deuxième en 2016, et aucun accord sur les aires marines protégées n’a été conclu depuis.

Les zones particulièrement riches en biodiversité ou les sites de reproduction importants pour les manchots doivent probablement être protégés. Nous savons que la péninsule Antarctique est l’une des zones de l’océan Austral qui se réchauffe le plus rapidement.

La communauté scientifique a reconnu que le changement climatique est en cours, mais nous avons encore besoin d’une surveillance accrue pour garantir que la CCAMLR continue dans la bonne direction et garde le contrôle de l’expansion de la pêche au krill dans un monde qui se réchauffe.

Une collaboration dans la réalisation des études, une plus grande transparence, un contrôle des données et un accord sur les responsabilités au sein du comité scientifique (et de la Commission) devraient être mis en place afin de rétablir la confiance au sein de la CCAMLR.

Propos recueillis par Camille Lin, PolarJournal

Plus d’informations : La pêche au krill est « olympique », c’est-à-dire que chaque année, le quota alloué à chaque zone est clôturé par le dernier pêcheur à l’atteindre. Il existe quatre zones de pêche : autour de la Géorgie du Sud, des îles Sandwich, des Orcades du Sud et des Shetland du Sud. Le total des prises autorisées est de 620 000 tonnes de krill. Les prises de 2021 s’élevées à 371 526 tonnes de krill, toutes zones confondues, autour des Orcades du Sud et des Shetland du Sud. Ce dernier archipel est sous pression, avec 10 000 tonnes surpêchées en 2021 par 12 navires sur zone, et le quota a été presque atteint par 9 navires en 2022. Les pays qui pêchent le krill sont le Chili (un navire), la Chine ( quatre navires), la Corée du Sud (trois navires), la Norvège (trois navires) et l’Ukraine (un navire), tous membres de la CCAMLR et utilisent des chaluts pélagiques.

Lien vers l’étude : Trathan, P.N., 2023. What is needed to implement a sustainable expansion of the Antarctic krill fishery in the Southern Ocean? Marine Policy 155, 105770. https://doi.org/10.1016/j.marpol.2023.105770.

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