Une équipe de paléontologues ont déterré la dent d’un mammifère éteint, contemporain des dinosaures de l’Arctique et d’une forêt de conifères au Crétacé. C’est la seule trace connue d’un mammifère aussi petit adapté au climat des hautes latitudes de cette ère géologique.
À l’aube de la 5e extinction vivait une petite musaraigne, dont une dent, de la taille d’un grain de sable, a été retrouvée par une équipe de paléontologues, dans le nord de l’Alaska, sur les rives de la rivière Colville non loin de son embouchure dans la mer de Beaufort. Cette dent appartient à une espèce nouvellement décrite dans le Journal of Systematic Palaeontology le 5 août dernier.
Les fouilles ont eu lieu en 2018 dans des strates sédimentaires du Crétacé supérieur d’une rivière datant d’environ 73 millions d’années avant notre ère, connues pour ses fossiles de dinosaures, comme le Pachyrhinosaurus. La formation de Prince Creek est accessible en motoneige ou par aéronefs à 75 miles de Deadhorse.
Jaelyn Eberle cherche des traces de vie passée dans les échantillons de sables et d’argiles, au microscope, au Muséum d’Histoire Naturelle de l’Université de Colorado Boulder. Elle est membre d’une équipe de quatre chercheurs, auteurs de la découverte, spécialistes des fossiles d’invertébrés, vertébrés, dinosaures et plantes et des extinctions de masse. « Je pense encore trouver des preuves de l’existence d’une demi-douzaine de nouvelles espèces aujourd’hui éteintes. » nous explique-t-elle.
À travers la lunette de son microscope, elle est tombée sur une petite dent en parfait état de conservation. La plupart des restes des mammifères de cette période sont des fragments de mâchoires ou de dents. « Comparable aux dents modernes, elle n’a sans doute pas changé, son émail étant très résistant”, assure-t-elle.
L’espèce a été baptisée Sikuomys mikros, « Siku » signifie glace en Iñupiaq et « mys mikros » provient du grec « petite souris », appartenant aux Gypsonictopidae, un genre de mammifère éteint. La sikuomys aurait pu ressembler à une musaraigne d’environ 10,8 grammes, « c’est la taille des dents qui nous permet d’estimer sa masse corporelle, et c’est la première fois que je dois utiliser les micromètres dans une étude sur les fossiles de mammifère ! » complète Jaelyn Eberle. Dans sa plus grande longueur, la dent mesure 1,5 mm. « C’est la preuve la plus nordique du Crétacé de la présence d’un mammifère aussi petit », remarque-t-elle. Aujourd’hui, le dépôt est à 70 degrés nord, mais il était entre 82 et 85 degrés de latitude nord au cours de cette période.
Elle était probablement active toute l’année et n’hibernait pas, se nourrissant d’insectes, vers, et de larves. « Nous ne sommes pas sûrs, mais sa dentition pourrait être celle d’une espèce omnivore, je suspecte donc qu’elle eût été capable de manger des graines pendant l’hiver », ajoute-t-elle.
Durant le Crétacé supérieur, les conditions étaient froides au cour des quatre mois de nuit hivernale du cercle polaire. La température annuelle était d’environ 6°C. Une forêt ouverte, peuplée de conifères comparables aux séquoias, abritait des tapis de plantes à fleurs, foulés par des dinosaures et parcourue par des oiseaux et des mammifères.
« L’hiver, il gelait, il y neigeait probablement », décrit-elle. Il y avait peu de nourriture pendant la saison froide, les sikuomys n’avaient pas besoin de beaucoup d’énergie grâce à leur petite taille. Plus au sud, leurs proches cousins étaient cinq fois plus gros. « Nous pouvons imaginer qu’elles vivaient tapies sous les feuilles et creusaient sous terre pour améliorer leurs chances de survie, un mode de vie similaire aux actuelles musaraignes de l’Arctique », explique la paléontologue.
Ce mode de vie aurait pu aider les espèces relatives aux sikuomys à survivre à la 5e extinction massive de la fin du Crétacé, il y a 66 millions d’années, provoquée par une modification climatique progressive, une activité volcanique intense et l’impact soudain d’une météorite.
Camille Lin, PolarJournal
Première image : Kevin May
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