Une équipe mixte des régions alpines franco-suisses publie dans Nature un article explorant les espaces naturels qui apparaissent après le retrait des glaciers, d’ici à 2100. Ils appellent à reconnaître leurs caractères uniques et leurs services rendus à l’humanité.
Que faire des espaces libérés par les glaciers ? Ceux qui bordent le gigantesque inlandsis de l’Antarctique et la grande calotte glaciaire du Groenland, les glaciers des autres régions arctiques, et ceux des hauts sommets des six principaux continents de la planète couvrent une surface de 650 000 km2, soit celle du Royaume-Uni et de la Norvège confondues.
Ces glaciers, très sensibles aux changements climatiques actuels, se retireront de moitié si l’utilisation des énergies fossiles n’est pas maîtrisée. Parc contre, si les émissions anthropiques restent assez faibles pour être compensée par l’absorption des écosystèmes en action sur l’ensemble de la planète, ils ne se retireront que d’un quart de leur surface. C’est ce que redémontre un article de la revue Nature publié mercredi dernier ; dont les résultats vont plus loin cette fois-ci.
Des écosystèmes « post-glaciaires », pour reprendre l’expression des auteurs, apparaissent suite au retrait de la glace. Des forêts, des mares d’eau douces, des lacs, des prairies ou encore des écosystèmes sous-marins succédant aux langues glacières flottantes. Après avoir simulé le retrait d’ici à 2100, 78 % des espaces dégagés seront des terres, 8 % formeront des zones humides d’eau douces et 14 % ouvriront des espaces maritimes.
En ce qui concerne particulièrement les pôles, ils sont plus propices à l’apparition d’écosystèmes sous-marins, « les montagnes positionnées près de la mer alimentant des glaciers puissants qui flottent à sa surface », remarque Jean-Baptiste Bosson, principal auteur. En Antarctique, dans l’Arctique russe et au Svalbard, ils représenteront 16 200 km2 d’espace côtier.
En Alaska et en périphérie du Groenland, ce sont plutôt des rivières et des lacs qui verront le jour, 4 270 km2 au total, l’Islande et la Scandinavie suivent la même tendance.
Les scientifiques appellent à la sanctuarisation
Ces écosystèmes sont intacts, d’une rareté inégalable dans un monde où les espaces naturels sont majoritairement modifiés ou artificialisés par les activités humaines. Or, le réchauffement climatique exacerbe les événements météorologiques extrêmes auxquels la biodiversité et l’agriculture font face, accentuant les tensions sociales. Dans ce contexte, la plupart de ces espaces vierges sont menacés et n’ont pas de statut particulier pour échapper à la pollution, l’introduction d’espèces, l’industrie minière, le tourisme, la production hydroélectrique, l’agriculture, la pêche, la chasse et les aménagements du génie civil.
Pourtant, on pourrait désormais leur attribuer des services rendus. Ces nouveaux écosystèmes absorbent du CO2 à mesure que la photosynthèse et d’autres procédés s’installent dans ces espaces, atténuant le changement climatique. Un service estimé par l’étude à 45 Mt voir 85 Mt au cours du 21e siècle pour les terres immergées.
Les zones humides emmagasinent environ 2 % de l’eau douce libérée par les glaciers, limitent son écoulement vers la mer, donc la montée des eaux et les risques de submersion. Dans les pôles, ils constitueront des refuges pour des espèces adaptées au froid.
Ce mécanisme de disparition de la glace et d’apparition d’espaces est également un puissant levier pour les prises de consciences collectives, « Une initiative citoyenne en Suisse utilise avec succès la protection des glaciers en 2023 pour modifier les lois nationales et stimuler les actions en faveur du climat », rappellent-ils.
Les chercheurs constatent que 30 % de ces nouveaux espaces bénéficient d’un statut de protection, incluant les sites classés par l’Unesco et le Traité de l’Antarctique, mais que l’Arctique est beaucoup moins protégé, notamment au Canada et en Sibérie.
C’est pourquoi les auteurs lancent un appel pour que ces nouveaux espaces figurent dans l’agenda international de la conservation de la nature. Ils soulignent l’efficacité de ces mesures de protection qui « semblent faciles, peu coûteuses et bénéfiques » pour le « besoin urgent d’atténuation du changement climatique. »
Les scientifiques pensent qu’il faudrait faire avancer le « droit des écosystèmes » et développer une mesure de protection pour les espaces naturels post-glaciaires, bannissant toute activité humaine ou les limitant aux plus durables, comme pour certains sites de l’Unesco.
L’étude répond à l’appel de l’ONU de 2022 désignant 2025 : « Année internationale de la préservation des glaciers ».
Camille Lin, PolarJournal
Image principale par Minik Rosing
Lien vers l’étude et les publications connexes :
- Bosson, J.B., Huss, M., Cauvy-Fraunié, S., Clément, J.C., Costes, G., Fischer, M., Poulenard, J., Arthaud, F., 2023. Future emergence of new ecosystems caused by glacial retreat. Nature 620, 562-569. https://doi.org/10.1038/s41586-023-06302-2
- Lecomte, N., 2023. The great melt will shape unprotected ecosystems. Nature 620, 499-500. https://doi.org/10.1038/d41586-023-02490-z
- Tollefson, J., 2023. Melting glaciers will reveal vast new ecosystems in need of protection. Nature. https://doi.org/10.1038/d41586-023-02564-y
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