Des volontaires se soulèvent contre l’Institut polaire français en Antarctique | Polarjournal
Passage des monts du Château en provenance de Rivière du Nord, pour rejoindre la station de Port-aux-Français. Image : Camille Lin

En cette fin d’hiver, dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises, les volontaires de l’Institut polaire français se retournent contre leur structure. Ils dénoncent la précarité de leurs Volontariats de service civique (VSC) et des horaires démesurés. Une situation très spéciale qui reflète d’une part le manque de moyens humains et financiers de la recherche polaire et d’autre part un contrat très répandu, sans doute mal adapté aux besoins des jeunes en début de carrière n’ayant pas accès au Revenu de solidarité active. La marge de manœuvre de l’institut est étroite dans l’immédiat, avec nulle autre possibilité que la gestion à distance.

Il y a du rififi dans les Terres Australes et Antarctique Françaises (TAAF). Un groupe de 30 jeunes gens, en Volontariat de service civique (VSC), dénonce depuis mardi dernier une situation d' »exploitation du personnel » et, à l’aide d’un avocat, met en demeure l’Institut polaire français. Les mots sont forts. L’affaire a éclaté parce qu’ils ont perdu 9 % de leur indemnisation au cours de la mission, suite à la demande de paiement rétroactif de puis janvier de certaines cotisations sociales (CSG et CRDS) par l’Ursaff à l’IPEV. La nouvelle est arrivée en Antarctique et dans les îles subantarctiques en juin. Elle n’est pas passée et, depuis, les VSC des différentes bases se sont organisés pour protester.

« Nous dialoguons avec les VSC pour rétablir une relation apaisée et qu’ils puissent finir leur séjour en toute sécurité et légalité, qu’ils soient protégés. Qu’ils puissent profiter de ce moment un peu magique qu’est la fin de l’hivernage pour repartir avec des souvenirs qui ne soient pas uniquement la revendication ou le combat juridique. » expose Yan Ropert-Coudert, directeur de l’Institut polaire français, lui-même ancien hivernant.

Baie Charrier, au nord de la péninsule Courbet, près de 1 000 éléphants de mer du sud se reproduisent. Image : Camille lin

Ils sont une trentaine à s’être engagés pour porter la science dans ces territoires où les chercheurs scrutent le climat, la vie des animaux et des plantes ou encore le magnétisme, l’ionosphère… la liste est longue et l’expérience est riche. Leur présence sur les territoires permet de maintenir des observatoires au long cours. Les stations polaires sont des lieux où se rencontre personnel civil et militaire, ce dernier étant détaché temporairement pour entretenir les lieux, assurer les transmissions ou encore produire de l’électricité à partir de génératrices. Avant leur départ, les VSC suivent des formations de quelques jours à plusieurs semaines, à l’institut pour comprendre les activités, souder les équipes et pour maintenir cet esprit pendant l’hiver. Voilà chose faite.

En conséquence de ce litige sur l’indemnité, les VSC dénoncent les conditions de travail. Trop d’heures pour « réaliser des missions de terrain de plusieurs semaines consécutives sans jour de repos » ont-ils déclaré dans leur communiqué. Ils estiment avoir trop de responsabilités et des fonctions qui sortent de la fiche de poste. Le contrat de service civique ne doit en théorie pas être utilisé pour des postes garantissant le bon fonctionnement d’une structure. Or, on ne peut imaginer une mission polaire sans personnel essentiel. Chaque membre de mission assume un rôle et il est reconnu pour cela dans sa station.

Sur la Terre Adélie en Antarctique, la station de Dumont d’Urville à proximité de manchot empereurs et manchots Adélie. Image : Wikimedia Commons

Ces jeunes actifs supervisent des sorties d’une dizaine de jours, en dehors des bases (pour les îles subantarctiques) où des militaires et des contractuels – boulanger, cuisinier ou maçon, par exemple – les accompagnent. Ils vivent alors dans des cabanes au bout du monde pour suivre la vie des animaux. Pour rallier les colonies de manchots, il faut parfois marcher plusieurs jours avec un sac à dos chargé. Tout cela donne lieu à des moments d’échanges privilégiés avec d’autres profils.

Dans ce contexte, il est difficile de séparer le temps de travail et le temps pour soi. Le contrat VSC implique un volume horaire de 35 heures par semaine, ou exceptionnellement 48 heures, réparties sur six jours. Leur mission peut durer jusqu’à 14 mois. Il y a plus de 10 mois déjà que ces jeunes gens ont volontairement rompu avec leur quotidien. Ils ont donc formulé leurs doléances, contacté la presse et 15 députés.

Ce que relèvent les VSC de l’Antarctique sur la nature du statut est sans doute généralisable à l’ensemble des VSC français. Ces 10 derniers jours, encore, certains apparaissent dans les titres de la presse régionale, contribuant à la vie d’un Ehpad, d’une maternelle ou encore d’un club d’échec. Depuis 10 ans, plus de 80 000 volontaires en moyenne s’investissent chaque année pour des causes d’intérêt général dans des associations ou des services publics. En 2021, le nombre de VSC a presque doublé. Certains d’entre eux témoignent qu’ils ont endossé des responsabilités, n’ont pas été suffisamment encadrés, et que l’expérience a été finalement peu valorisable par la suite.

Mais il ne faudrait pour autant pas bannir ce type d’engagement, ainsi que le rappelait un collectif d’associations à travers une tribune publiée dans Le Monde en 2022. Selon lui, le VSC « permet de mobiliser les forces vives de la jeunesse pour aider à répondre aux défis sociaux et environnementaux de notre temps et donne aux jeunes l’occasion de se confronter à la diversité de notre pays, renforçant ainsi la cohésion sociale dont celui-ci a plus que jamais besoin » et demandait « une loi de programmation prévoyant un développement continu, régulier et durable du budget alloué au service civique. » Selon eux, 91 % des VSC seraient satisfaits et 96 % le recommanderaient à leur entourage, malgré la précarité du statut.

Dans les TAAF, les VSC reçoivent 1050 euros contre environ 500 euros ailleurs en France, ils sont nourris, logés et vivent dans des régions du monde où très peu ont la possibilité de se rendre. « On reçoit 600 à 700 candidatures par an, il y a des gens qui rêvent de ça, quel que soit le prix, » affirme le directeur. Ils sont loin de leurs cercles sociaux, mais aussi loin des difficultés quotidiennes. La mission peut parfois sembler longue, mais il y a des gens sur qui compter, avec qui se créent des liens très forts qui perdureront dans le temps. L’expérience n’a pas vraiment d’équivalent, ce qui peut parfois être difficile à réaliser tant qu’on est encore en mission.

Fin de l’hiver pour ce poussin d’albatros qui a déjà quelques plumes valable pour des vols planés. Image : Camille Lin

En ce jour d’équinoxe, les bases sortent du cœur de l’hivernage. L’été revient et la relève approche. « Depuis mercredi, ils sont d’accord pour travailler avec nous sur des points d’amélioration, ajoute Aude Sonneville, responsable de la communication et des archives de l’Institut polaire français. On ne peut pas agir sur leur statut, mais on peut réfléchir à leurs missions, aux formations qu’ils reçoivent avant, sur les dotations en équipement que l’on n’a peut-être pas assez suivies, par manque de personnel aussi : on n’avait pas d’ingénieur qualité sécurité environnement jusqu’à récemment et nos permanents à l’institut sont des gens passionnés et surchargés qui ne peuvent pas tout gérer. »

L’Institut polaire français ne dégage pas de bénéfices de ces VSC. À ce propos, toutes les sciences qui visent à étudier le climat ou la biodiversité, ou encore les sciences sociales, sont les parents pauvres de la recherche. L’Institut polaire français a eu ces dernières années des budgets serrés, sanctionnés mécaniquement par l’inflation avec l’augmentation du prix des matières premières, comme le carburant pour transporter, vivre, matériels et personnel.

« Je ne sais pas si on est une courroie pour dénoncer des situations précaires, mais ce n’est pas nous qui avons la main sur le statut, on aimerait bien pouvoir faire en sorte que tout le monde soit mieux payé, » assure Aude Sonneville.

Le dialogue suit son cours malgré une communication difficile. Un décalage horaire de trois à neuf heures suivant les stations, des réalités différentes entre le terrain et le centre névralgique. Même si depuis quelques années, les débits internet se sont améliorés, favorisant les échanges avec la Métropole, via messageries instantanées, avec ses effets parfois délétères, notamment sur l’immédiateté des échanges et des temps de réflexion plus courts. « Trop de communication tue la communication, je le vois dans les labos de recherche, on peut maintenant parler plus facilement, mais cela ne veut pas dire que l’on communique mieux, un problème contemporain valable à tous les niveaux. » constate Yan Ropert-Coudert.

Cet événement cause à la fois du mal-être chez les VSC, qui ne se sont pas sentis écoutés, mais aussi du côté de l’Institut polaire français, qui dispose de peu de leviers d’action sur le court terme. Il est très difficile et inédit de devoir affréter un navire pour évacuer du personnel qui abandonnerait leur poste, et le prochain n’arrivera qu’en novembre. « Je suis entièrement d’accord pour discuter avec les VSC sur le futur de la recherche polaire et voir comment on peut améliorer certains aspects, je l’ai toujours été. Mais à mon avis, pour en discuter sereinement, il faudrait qu’ils aient le temps de finir leur expérience. » ajoute le directeur.

Cet épisode soulève deux questions : d’une part, sur la nature du contrat de VSC en France et son utilisation, et d’autre part, sur le fonctionnement de la recherche polaire française. Alors cela voudrait-il dire qu’il faudrait revoir les objectifs de missions à la baisse et mécaniquement embaucher moins de personnes en début de carrière ? À moins que l’Institut polaire français soit capable d’ouvrir 40 CDD par an, en plus de son plafond d’emplois actuels (budgétairement impossible à ce jour), où les jeunes seraient moins représentés. Ou, ne pourrait-on pas continuer de permettre à des jeunes de vivre une expérience valorisable sur le CV et humainement riche en réévaluant le statut de VSC ? La définition de ces contrats devrait peut-être évoluer et être revalorisé, sur le plan financier notamment, compte tenu des services rendus à la nation. Un tournant qui devrait dans ce cas se jouer à l’Assemblée.

Camille Lin, PolarJournal

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