Le parlement groenlandais dans la tourmente et pas seulement sur la question des finances | Polarjournal
Après un début marqué notamment par la démission de deux membres du Naalakkersuisut (gouvernement du Groenland) et le remplacement du président de l’Inatsisartut (Parlement), des événements qui ont fait grand bruit, le Parlement a entamé son travail. Image : Robert Thomsen

La session parlementaire d’automne s’est ouverte la semaine dernière au Groenland. Sur fond de démissions et de changement au sein du gouvernement, le premier projet présenté, la loi de finances, n’aura pas remporté l’adhésion des partis qui s’inquiètent d’une éventuelle TVA sur l’île.

Rocades, démissions, absences, changement de présidence et deux nouveaux ministres auront inauguré la nouvelle session parlementaire. Au niveau du gouvernement, les ministères des affaires étrangères et de la santé seront respectivement repris par Múte B. Egede, Premier ministre du Groenland, qui reprend le poste des mains de Pele Broberg, et Agathe Fontaine pour la santé. Le Parlement, Inatsisartut, voit quant à lui arriver une nouvelle présidente en la personne de Mimi Karlsen Tous trois sont du même parti, l’Inuit Ataqatigiit, à tendance socialiste. Le poste de ministre en charge de la pêche change également de mains. Karl Tobiassen du parti social-démocrate Siumut a démissionné pour rejoindre le Parlement, laissant ce ministère crucial pour l’économie de l’île à son collègue de parti, Kim Kielsen, connu pour ses positions tranchées sur la question de la pêche.

Le Parlement aura également eu son lot de changements, le remaniement laissant notamment plusieurs sièges vides. Un jeu de rocades critiqué par la presse et une situation qui ne sera pas sans conséquences sur les décisions que devront prochainement prendre les députés sur les différents projets de loi soumis par l’exécutif.

Pour rappel, Naalakkersuisut avait présenté plusieurs propositions de loi dont le Parlement devra débattre au cours de ses prochaines séances Il s’agit notamment de projets de loi sur les finances, la lutte contre les discriminations, la taxe sur les croisières et le registre des Inuits, ainsi que de propositions relatives à l’accord de Paris, auquel le Groenland avait reporté son adhésion.

Sur fond de remous, bien-être et sécurité des citoyens du Groenland auront été au cœur du traditionnel discours d’ouverture du Premier ministre groenlandais, Múte B. Egede. Image : Naalakkersuisut / Facebook

Si la plupart de ces projets seront discutés dans le courant des semaines à venir, la proposition de loi de finances pour 2024 a déjà été présentée mardi et le moins que l’on puisse dire est que ce projet de loi est loin de remporter l’adhésion.

Soumis au législatif par le Gouvernement groenlandais, il passe plutôt mal auprès des partis. En cause, les prévisions quant à la pérennité d’un excédent budgétaire qui, selon plusieurs députés, ne peut pas être assuré sur le long terme. En outre, la possibilité d’introduire la TVA dans le pays est également critiquée.

Avec un taux de croissance positif et une inflation qui devrait tourner autour des 5% pour l’année 2023, le gouvernement a fait état pour l’année prochaine d’un excédent de fonctionnement de DKK 91 millions (plus de 12 millions d’euros). Le Groenland dispose donc de finances saines présentant un budget bénéficiaire, notamment grâce aux revenus générés par le secteur de la pêche qui se porte bien. Des chiffres noirs que l’on devrait retrouver sur l’exercice financier 2024-2027 selon Naalakkersuisut qui prévoit un excédent cumulé de DKK 708 millions (94 millions d’euros).

Gouverner c’est prévoir. Si les projections du Gouvernement sur l’exercice financier 2024-2027 se montrent positives, les partis estiment qu’un budget bénéficiaire n’est pas réaliste sur les années à venir et qu’il faudrait investir les ressources actuellement disponibles dans le développement de l’île. Image : Inatsisartut

Des projections qui n’ont pas convaincu les partis qui se sont montrés sceptiques quant à la pérennité d’une telle situation. Partis de coalition et d’opposition estiment en effet que la situation est irréaliste et l’ont exprimé mardi dans les colonnes du journal groenlandais Sermitsiaq. Pour eux, si rien n’est fait, les dépenses publiques finiront par dépasser les recettes avec à la clé un déficit de financement annuel de DKK 1,3 milliard par an, selon un calcul établi par le Conseil économique du Groenland.

En cause, l’évolution démographique, l’augmentation du nombre de personnes exclues du marché du travail et l’absence de revenus générés par les nouvelles industries à destination du Trésor public.

Toutefois, si les partis ont en commun de critiquer le projet, plusieurs voix ont déjà suggéré d’investir les excédents actuellement à disposition dans le développement économique de l’île et de ses infrastructures.

Une TVA qui inquiète

En outre, plusieurs interrogations se sont fait entendre concernant une éventuelle possibilité d’introduire un système de TVA au Groenland. A l’heure actuelle, celle-ci n’existe pas sur l’île qui applique d’autres types de taxe sur les biens de consommation, telle que la taxe sur les emballages de DKK 3,50 (0,47 centimes d’euros). Récemment introduite, elle devrait permettre de générer DKK 100 millions (13 millions d’euros) pour le Trésor public. Une taxe qui provoque d’ailleurs toujours l’ire du social-libéral Demokraatit, parti d’opposition et auteur d’un amendement à l’ordonnance sur les emballages consignés.

Egalement parti d’opposition du centre, Naleraq s’est montré à la fois critique sur le projet de loi de finances, qu’il estime manquer de vision, mais aussi sur l’éventualité d’introduire la TVA en remplacement des taxes actuelles. Une approche jugée « pas très bonne » par Jens Napaatooq, député au Parlement, qui se demande en outre si le même taux de TVA serait appliqué au Groenland qu’au Danemark où il se monte à 25 pour cent, l’un des taux les plus élevés d’Europe.

Les parties ont maintenant jusqu’au 24 octobre pour poursuivre les discussions sur le projet de loi de finances. Dans les semaines à venir, les députés débattront également d’autres projets à l’ordre du jour, tels que la taxe sur les croisières ou le registre Inuit. Il est donc très peu probable que l’agitation retombe dans les semaines à venir.

Image d’illustration : Inatsisartut

Mirjana Binggeli, PolarJournal

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