À long terme, le changement climatique rendra la tâche de trouver un site approprié de reproduction très difficile pour les manchots empereurs. Cependant, une nouvelle étude montre qu’ils sont plus flexibles dans le choix de l’emplacement qu’on ne le pensait jusqu’à présent.
Pendant leur période de reproduction en hiver antarctique, ils supportent les conditions les plus extrêmes que l’on puisse trouver sur notre planète et sont donc très exigeants vis-à-vis de leur habitat. La composante la plus importante est la glace solide qui sert de plate-forme pendant la période de reproduction – la glace de mer proche des côtes, reliée au continent ou à la banquise. Cependant, avec le réchauffement, la glace fixe ne sera plus un habitat fiable. De sombres perspectives pour les emblématiques manchots empereurs. Selon les prévisions, plus de 90 % des colonies de manchots empereurs pourraient s’éteindre d’ici la fin du siècle.
Une équipe internationale de chercheurs français, américains, canadiens, néo-zélandais et australiens montre aujourd’hui dans une nouvelle étude interdisciplinaire qu’au moins certains de ces oiseaux marins uniques pourraient survivre pendant quelques décennies, dans certaines conditions et dans certaines régions de l’Antarctique.
Pour cela, la simple existence de glace solide n’est pas suffisante. Celle-ci doit présenter certaines caractéristiques : les manchots empereurs ont besoin d’une plate-forme de glace solide, suffisamment grande pour durer toute la saison de reproduction et dont le bord est suffisamment proche de l’eau libre pour pouvoir se nourrir. La stabilité de la glace solide est particulièrement importante pour que les poussins aient suffisamment de temps pour développer des plumes imperméables à l’eau et assurant la flottaison. En outre, l’équipe a constaté que d’autres facteurs devaient être réunis pour que les manchots empereurs disposent d’un bon habitat.
« Il s’avère que les principales caractéristiques qui définissent l’habitat le plus souhaitable pour les manchots empereurs sont une combinaison de variables physiques et biologiques – la permanence de la glace solide, son amplitude saisonnière, son degré de rupture et de reformation, le moment où elle se forme, le moment où elle fond, la topographie du fond marin et la proximité avec les manchots Adélie ou autres concurrents alimentaires », explique le Dr. Sara Labrousse, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France et auteure principale de l’étude, dans un communiqué de presse de l’Australian Antarctic Program Partnership.
Dans la revue spécialisée Science Advances du 29 septembre, les chercheurs décrivent également que les manchots empereurs sont flexibles en ce qui concerne le choix de leur habitat. Ils sont arrivés à cette conclusion après avoir comparé les habitats utilisés par les 55 colonies de l’Antarctique. Ceux-ci se distinguent nettement par leurs conditions environnementales, si bien que l’équipe a pu identifier cinq types d’habitats géographiques. En revanche, au sein de ces différentes régions, les différences entre les sites des colonies étaient minimes.
Parmi les cinq types d’habitats identifiés, quatre semblent correspondre aux quatre métapopulations génétiques différentes et déjà connues de manchots empereurs – mer de Weddell, mer de Mawson, mer de Ross et Antarctique de l’Est -, peut-on lire dans le communiqué de presse.
Pour l’équipe d’auteurs, cette découverte est porteuse d’espoir, car elle suggère que les manchots empereurs pourraient être capables de se déplacer vers d’autres sites en cas de changement des conditions de la glace de mer, si cela s’avérait nécessaire. « Cependant, des recherches antérieures ont déjà montré que la capacité des manchots empereurs à se disperser et à trouver des refuges climatiques plus appropriés est limitée, et cela est confirmé par la répartition génétique [au sein des populations, ndlr] entre les régions antarctiques mise en évidence dans notre étude », explique le Dr Labrousse.
Cependant, l’étude actuelle n’a pas pris en compte la disponibilité de nourriture pour les manchots empereurs, qui pourrait également avoir une influence sur le choix de leur habitat. Avec la disparition de la glace de mer, les activités de pêche pourraient augmenter à l’avenir en raison de l’ouverture de nouvelles zones, ce qui pourrait accroître la concurrence entre la pêche au krill et les manchots.
Dans leur étude, les chercheurs se sont appuyés pour la première fois sur des images satellites à haute résolution, qu’ils ont combinées avec des métriques terre-glace ainsi que des facteurs géographiques et biologiques, afin d’examiner les habitats des manchots empereurs, répartis de manière uniforme dans l’Antarctique.
Ils voient un avenir pour ces oiseaux uniques si l’on parvient à préserver suffisamment d’habitat en créant des zones protégées, et à ralentir la fonte des glaces de mer en réduisant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre.
Julia Hager, PolarJournal
Lien vers l’étude : Sara Labrousse et al., Where to live ? Landfast sea ice shapes emperor penguin habitat around Antarctica. Sci. Adv. 9, eadg8340 (2023). DOI:10.1126/sciadv.adg8340
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