Depuis plusieurs années, les cas d’appropriation culturelle et d’identité autochtone semblent se multiplier au Canada et aux Etats-Unis. Un phénomène qui n’est pas sans conséquences et qui touche également les Inuit.
Le 27 octobre dernier, la télévision canadienne CBC News révélait dans son émission The Fifth Estate que la chanteuse Buffy Sainte-Marie aurait menti sur ses origines. Véritable icône en Amérique du Nord, notamment au Canada où elle disait être née, l’artiste a remporté nombre de prix prestigieux, vendu des millions d’albums et effectué des tournées mondiales au cours d’une carrière s’étendant sur plus de 60 ans. Revendiquant des origines autochtones (d’abord algonquines et mi’kmaq, puis cries), elle est devenue l’un des visages les plus connus de la cause des peuples autochtones à travers son engagement militant.
Aussi, lorsque CBC a dévoilé un acte de naissance attestant que les parents biologiques de l’artiste étaient des Américains d’origine italienne et anglaise et qu’il n’y avait pas une goutte de sang autochtone dans la famille, le scandale a été à la mesure de la déception et de la consternation face à ce qui semble être un cas typique d’appropriation culturelle.
Ce n’est pas la première fois qu’une personnalité du monde du spectacle ou de l’art, mais aussi du monde académique, se fait épingler sur ses prétendues origines autochtones. Le phénomène a même généré le terme de « pretendian », contraction des mots anglais to pretend (prétendre) et Indian (Indien), pour désigner ces personnes généralement blanches qui se font passer pour Autochtones ou prétendent avoir des origines Amérindiennes, Métis ou Inuit. Un phénomène mal connu sous nos latitudes mais dont les proportions et les répercussions sont importantes, notamment pour les communautés autochtones dans leur ensemble, y compris pour les Inuit qui ont aussi eu leur lot d’imposteurs.
Si la situation peut sembler paradoxale – quel avantage une personne non autochtone pourrait bien tirer en endossant une identité qui fait l’objet de discriminations ? -, les bénéfices sont bien réels qu’ils soient sous forme de distinction, de reconnaissance, d’argent, de récompenses, de prestige, de subventions ou d’opportunités.
En 2015, un artiste russe nommé Zinour Fathoullin avait fait l’objet de critiques de la part de la communauté inuit. Se présentant dans une tenue faite de peaux de phoque, il avait donné une performance de danse du tambour et de chant de gorge durant l’Aboriginal Awareness Week de Calgary, provoquant de nombreux commentaires négatifs. En plus de ses activités artistiques, Fathoullin et son épouse proposaient des ateliers liés aux éléments de la culture inuit, facturant au passage $CAN 800 la journée (environ €540).
Plus récemment, des sœurs jumelles de l’Ontario ont fait la une de plusieurs journaux après avoir empoché des bourses d’études et des subventions normalement réservées aux Inuit. Entre 2016 et 2022, les sœurs Gill, ainsi que leur mère, avaient frauduleusement obtenu le statut d’enfants inuit adoptés. L’organisme chargé d’examiner ces demandes, la Nunavut Tunngavik Inc. (NTI), leur avait alors accordé le statut de bénéficiaire inuit, leur ouvrant ainsi l’accès à certaines subventions.
La supercherie a finalement été découverte et les deux sœurs, poursuivies avec leur mère pour fraude, devraient bientôt comparaître devant un tribunal d’Iqaluit.
Même si les fausses déclarations touchant aux communautés inuit sont rares, la NTI a tout de même renforcé le processus d’inscription obligeant désormais les candidats à fournir un acte de naissance détaillé ou, à défaut, au moins deux éléments de preuves (dossier d’hôpital ou de naissance, dossier judiciaire, documents d’adoption).
Les effets peuvent être ravageurs pour les communautés. Depuis que l’affaire Sainte-Marie a éclaté, nombreuses ont été les personnes à prendre la parole dans les médias ou sur les réseaux sociaux manifestant colère, tristesse ou l’impression d’avoir été trompées, voire même trahies. Des mots très forts pour exprimer un même sentiment : celui d’être dépossédé de son histoire et de sa culture et de la possibilité de les raconter, ou encore de se voir voler opportunités professionnelles, reconnaissance ou succès.
Au-delà de l’appropriation illégitime d’une identité culturelle se dessine également une autre problématique. En s’appropriant l’identité des Amérindiens, Métis ou Inuit, les « pretendians » les privent de la possibilité de définir leur propre identité, au risque de perpétuer un discours dominant non autochtone sur les Autochtones eux-mêmes.
Mirjana Binggeli, PolarJournal
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