Une étude franco-canadienne sur les manchots royaux de la plus grande colonie de la péninsule Courbet à Kerguelen montre que ces oiseaux sont très spécialisés, ce qui les rend vulnérables aux évolutions géographiques du front polaire.
Les manchots royaux chassent obstinément les poissons-lanternes pour nourrir leur progéniture, et ce même si l’accès à cette ressource diminue. Alors, ils intensifient leur effort de chasse et restent en mer plus longtemps. C’est ce que montrent les derniers résultats du Centre d’Études Biologiques de Chizé et du Natural Resource Sciences de l’Université de McGill avec une publication dans Ibis, International Journal of Avian Science le 12 novembre dernier.
Concrètement, voici comment les parents s’organisent. Pendant qu’un partenaire régurgite, petit à petit, le contenu de son estomac en s’assurant que son petit ait toujours à manger, l’autre passe entre cinq et douze jours en mer. « Ils vont au-delà du front polaire », montre sur un schéma Émile Brisson-Curadeau, doctorant et principal auteur de l’étude.
Ce dernier s’est rendu trois fois sur l’archipel de Kerguelen, entre 2019 et 2022, et a travaillé sur la colonie de Ratmanoff avec l’appui de l’Institut Polaire Français. L’une des plus grandes au monde, avec plus de 100 000 couples qui se retrouvent autour d’un estuaire, sur les hauteurs d’une immense plage de sable sombre, face à l’océan Austral.
Le jeune chercheur a équipé certains oiseaux nicheurs de GPS pour suivre leur course. À leur retour, il a prélevé des échantillons de sang, pour compléter un suivi qui court depuis 2015. Ces prélèvements ont permis de mesurer les isotopes du carbone et de l’azote contenus dans le sang.
Qu’est-ce que l’azote et le carbone peuvent révéler sur la diète de l’animal ? Ces deux éléments chimiques sont à la base de la plupart des molécules qui constituent les êtres vivants et quand les manchots puisent dans la nourriture qu’ils consomment pour se régénérer, ils accumulent alors les signatures isotopiques de leurs proies.
« Nous étudions le sang car il se renouvelle très vite et se révèle utile pour associer les isotopes aux trajets en mer. Contrairement aux plumes, autre indicateur, qui se renouvellent pendant la mue, qui a lieu longtemps avant la période de reproduction », explique-t-il.
Les signatures isotopiques montrent que les manchots royaux se sont exclusivement concentrés sur les poissons-lanternes, et les GPS révèlent des temps en mer plus longs en cas de pêche infructueuse.
Ces oiseaux auraient pu changer de cible, et chasser des calmars ou d’autres espèces de poissons. « De toutes les espèces qui lui sont proches, le manchot royal est de loin le plus spécialisé, constate Émile Brisson-Curadeau. Ils sont donc plus sensibles aux changements de répartition des poissons-lanternes. »
Un front fluctuant
La distance au front polaire est donc décisive pour les colonies. Les poissons-lanternes vivent au sud de ce front, côté Antarctique. Autour de Kerguelen, il longe la partie sud et remonte à l’est, au large, en face de Ratmanoff. Ici, « le front ne bouge pas trop parce qu’il est contraint par des canyons sous-marins au large », nous explique-t-il.
Par contre, à Crozet et Marion Island, le front s’éloigne lorsque les étés sont chauds. Les colonies ont donc plus de mal à l’atteindre. « Ils sont à la merci de la température », lâche le chercheur. D’autres colonies, comme celles de la Géorgie du Sud, ne devraient quant à elles pas ressentir ces effets, parce que l’île est située au sud de ces courants.
Cette dernière étude apporte de nouveaux éléments à la communauté scientifique pour l’observation des manchots royaux. Émile Brisson-Curadeau insiste : les manchots royaux sont hyper spécialistes et « d’après leurs comportements, on peut connaître les changements chez leurs proies et dans l’océan. »
Camille Lin, PolarJournal
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