Exploris arrive sur le marché des voyages polaires avec un produit très francophone pour se démarquer dans ce secteur concurrentiel et controversé.
L’Association internationale des voyagistes antarctiques (IAATO) inventorie 322 sites ouverts aux visites autour du continent Antarctique. Au cours de la dernière saison touristique, il y a eu environ 320 000 visites individuelles, 27 000 sorties individuelles en kayak et 16 000 personnes se sont offert un bain d’eau glacé. Ce type de croisière connaît une hausse – ralentie par le Covid -, et a établi un nouveau record la saison dernière. Exploris, une nouvelle compagnie de croisière française, fait le pari de s’insérer dans ce secteur fleurissant, concurrentiel et controversé.
Hier, la compagnie a pris possession de son premier navire Exploris One, anciennement Silver Explorer, affrété par la compagnie américaine Silver Sea. « Initialement, nous voulions construire un navire – nous avions les plans -, l’appel d’offre était même presque finalisé quand le Covid est arrivé, raconte Éric Lustman, vice-président d’Exploris, à PolarJournal. Nos investisseurs se sont alors refroidis. Mais il y avait des bateaux à vendre, comme Silver Explorer. Il appartenait à un fonds d’investissement allemand qui voulait le céder. Silver Sea avait d’autres plans de développement et ne l’a pas racheté. »
Le navire a convaincu Phillipe Videau, directeur d’Exploris. « À ce prix-là, un navire d’une telle qualité, conçu pour ce type de croisière et entretenu, ce n’est pas courant. Il s’en est porté acquéreur, complète Éric Lustman. Une bonne opportunité pour lancer l’entreprise. » Phillipe Videau est un ancien navigant de la marine marchande, l’un des fondateurs de la compagnie Ponant qu’il a quittée en 2016 lors du rachat par François Pinault.
Pour se différencier, Exploris offrira des voyages francophones, à partir du 23 décembre. Les conférences données à bord seront en français, également la langue du personnel embarqué. « C’est une façon de maximiser l’expérience, c’est très agréable quand les explications pédagogiques et scientifiques sont données dans sa langue », explique-t-il. Selon l’IAATO, les Français représentent 3 % du marché antarctique. Certains Canadiens et Suisses sont aussi francophones, respectivement 5 et 2 % des clients de la dernière saison.
« Globalement, un croisiériste sur deux est nord-américain, le marché français est à la traîne en Europe. Les premiers sont les Allemands, suivis des Italiens et des Espagnols, explique Véronique Mondou, géographe et maître de conférence à l’Université d’Angers. La croisière de divertissement a du mal à prendre en France, ils veulent de la découverte et des escales, c’est pour cette raison que les pôles fonctionnent bien. En Antarctique, les Français sont surreprésentés par rapport à leur part dans la croisière mondiale. »
Des croisières francophones donc. « C’est d’autant plus important quand on est sur un petit navire », ajoute-t-il. Silver Explorer, maintenant Exploris One, mesure 108 mètres avec 60 cabines et 12 suites. C’est un navire de luxe avec un salon panoramique, un espace fitness et bien-être et un jacuzzi à l’extérieur. Il peut embarquer 144 passagers mais la compagnie souhaite se limiter à 120 passagers.
Le navire bat pavillon RIF (Registre international français). Ceci assure une meilleure protection sociale pour les navigants, meilleure que celle des navires français immatriculés à Wallis-et-Futuna, comme les 12 navires de la compagnie Ponant. « On souhaite voir un équipage fidèle et heureux d’être là », ajoute Phillipe Videau.
La compagnie s’engage à soutenir les populations locales par l’emploi. « Deux Brésiliens venant des favelas de São Paulo en formation dans l’hôtellerie seront en stage à bord pendant trois mois, nous explique le vice-président de la compagnie. Nous aurons des officiers venant de pays d’Afrique et nous allons engager des jeunes Inuits pour guider les croisières au Groenland. C’est ce que l’on souhaite faire à notre petite échelle. »
Exploris s’insère cependant dans un secteur économique critiqué pour son impact environnemental. Clean Arctic Alliance se concentre sur les pollutions du secteur maritime, surtout les émissions de suie. Celles-ci se déposent sur la glace et accélèrent la fonte. « Nous travaillons sur le secteur maritime en général en le poussant à adopter des carburants alternatifs au fuel lourd en Arctique, nous dit Dr Sian Prior, conseillère principale de la Clean Arctic Alliance. Si nous avions une régulation globale des émissions de suie au niveau de l’Organisation maritime internationale, ce serait l’approche la plus efficace. »
Pour deux différents groupes de travail du WWF, il est également important de réguler l’activité touristique dans les pôles. « Nous avons besoin d’un cadre plus clair et plus solide pour la croisière au sein du traité sur l’Antarctique afin de gérer cette menace croissante pour la faune et l’environnement », déclare Rod Downie du WWF britannique. « Nous ne souhaitons pas que ce tourisme soit interdit. Au Groenland, les populations locales en dégagent des revenus. On voudrait voir un maximum d’interactions avec l’économie locale, par exemple en consommant sur place, ce qu’il faut c’est qu’il soit le plus durable possible », estime Jan Dusik, de la branche britannique du WWF.
« Un territoire, c’est un équilibre économique, pour lequel la mono-activité est mortifère, explique Marie-Noëlle Rimaud, directrice du centre d’études de l’enseignement supérieur EXCELIA, spécialiste du tourisme durable. Le Groenland est un petit pays de 57 000 habitants : ils ont la pêche, mais elle est en chute libre, ils ont refusé de compter sur le minier, et le tourisme reste donc un des piliers essentiels. »
Camille Lin, PolarJournal
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