Les groupes de travail du Conseil de l’Arctique ont publié la mise à jour d’un rapport sur le trafic maritime de l’Arctique en janvier dernier, avec 10 ans de recul chiffré sur la zone. La semaine dernière, la Russie a annoncé le retrait de sa participation financière au Conseil de l’Arctique (8 % du budget). À Brest en France, Anne Choquet, juriste en droit polaire et maritime ainsi qu’Hervé Baudu, spécialiste de la navigation polaire étaient invités à s’exprimer dans un colloque à l’École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA). Il en ressort certaines idées reçues à propos de l’attrait des routes maritimes polaires.
1. Le trafic a-t-il augmenté au cours des dix dernières années ?
Le nombre de navires immatriculés qui entrent dans l’espace du code de navigation polaire a augmenté de 37 % ces dix dernières années en Arctique, passant de 1298 à 1783. La distance naviguée a doublé au cours de cette période. « Le trafic est gonflé par le cabotage et les petits bateaux », estime Hervé Baudu. Les pêches vivrière et semi-industrielle sont en croissance. L’augmentation du trafic marchand se concentre autour des projets miniers russes et de la mine Mary River au Canada. Même si certaines navigations emblématiques donnent la sensation que l’Arctique s’ouvre à la navigation, cela reste encore très relatif.
Image : Esther Horvath
2. L’océan sera-t-il libre de glace d’ici à 2050 en raison du changement climatique ?
L’hiver, les rayons du soleil n’atteignent pas l’océan Arctique qui continuera à geler. La banquise se reconstitue d’octobre à mars. Son épaisseur moyenne diminue depuis 1975, passant de 3,59 à 1,25 mètres. Même si l’océan se découvre en été dans la seconde moitié du siècle – une fois tous les 10 ans au plus fort de la fonte – il restera 15 % de glace en août et septembre. « C’est un champ de mine pour la navigation », qualifie Hervé Baudu. Les courants de l’Arctique envoient la glace de mer vers l’est, ce qui obstrue les archipels canadiens. La fenêtre d’ouverture y est actuellement courte entre un mois et un mois et demi à partir du 25 août dans le passage le plus profond. L’année dernière, le détroit de McClure était ouvert pendant seulement 15 jours.
Image : Michael Wenger
3. La gestion des risques est-elle différente que dans d’autres lieux ?
« L’attrait pour l’Arctique est vu comme une opportunité, mais il existe des risques associés pour la biodiversité et la sécurité humaine », explique Anne Choquet. Des mesures supplémentaires à la réglementation classique sont indispensables comme le stipulent la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et le Code polaire. Il faut prendre en compte le manque d’équipements dans la zone, la période estivale courte et des temps de réaction limités pour le secours. Il arrive qu’il y ait des incidents, comme récemment un transport de charge bloqué dans le passage du Nord-Est, ou encore un échouement d’un navire touristique l’été dernier au Groenland. « Le choix du pavillon est crucial pour l’armateur », ajoute-t-elle, entre autre pour des raisons d’assurance. Les formations à la navigation dans les glaces est nécessaire pour qualifier les navigants, comme celle sur simulateur à l’Ecole Nationale Supérieure Maritime de Marseille.
Image : Joint Arctic Command
4. La coopération internationale permet-elle la libre circulation ?
Le Canada considère que le passage du Nord-Ouest doit être réglementé parce qu’il passe dans ses eaux. Il s’appuie sur des accords signés avec les États-Unis, qui datent d’avant la question du changement climatique, stipulant que les brise-glaces des États-Unis doivent demander l’autorisation pour passer par le Canada. Les États-Unis considèrent aujourd’hui que les détroits sont ouverts parce qu’ils relient deux espaces maritimes internationaux.
Du côté de la Russie, l’État utilise un élément du droit international pour exercer un droit de passage. Cet élément stipule que l’État côtier peut exercer un contrôle sur ses eaux glacées pour assurer la sécurité. Par ailleurs, certains des détroits peu profonds sont hydrographiés mais les programmes russes ne partagent pas les cartes.
Image : NASA
5. Le Conseil de l’Arctique travaille-t-il sur le développement des routes ?
Le Conseil de l’Arctique réunit des organisations d’États de la région, et organise des forums de haut niveau et des groupes de travail. C’est un lieu d’échange sur le Code polaire pour l’Organisation Maritime Internationale. Certains groupes de travail ont un budget de 50 000 euros par an pour suivre le trafic. Un travail utile pour la définition juridique d’un détroit qui prend en compte la fréquentation. « Or les chiffres ne sont pas comparables à ceux d’autres espaces maritimes internationaux », remarque Anne Choquet. Comme la Russie est maintenant à la marge des négociations depuis la guerre, un autre discours émerge avec les pays des BRICS. « C’est une catastrophe pour la science, dommage parce que c’est une excellente voie de dialogue », estime Hervé Baudu.
Image : Arctic Council
6. La Russie veut-elle développer la route de l’Est ?
L’ambition de la Russie est d’ouvrir toute l’année le passage du Nord-Est et de devenir le premier producteur de GNL au monde. « La Russie est assise sur un baril de GNL qui est phénoménal », remarque Hervé Baudu. Elle doit donc ouvrir un chenal aux méthaniers brise-glaces qui sont obligés de casser la banquise en marche arrière quand elle est plus épaisse que 1,5 mètre. Plusieurs projets de brise-glaces militaires et de servitude sont en cours avec des puissances motrices de 54 MW, 60 MW et 120 MW. « L’argumentaire russe pour attirer les investisseurs, c’est la sécurité », ajoute-t-il. Mourmansk est devenu un bastion, une zone de déni en réaction à la présence de l’OTAN, représenté par sept des huit pays de l’Arctique. Toutes ses îles sont armées. L’État assure un contrôle sur le passage en imposant des escortes payantes avec ses brise-glaces. Chine et Russie projettent d’exploiter des gisements de pétrole offshore.
Image : Novatek
7. La pêche est-elle possible dans la zone arctique définie par le Code polaire ?
Les eaux internationales de l’océan Arctique sont sous moratoire. La pêche n’y est juridiquement pas possible. Le cabillaud est pêché dans les eaux territoriales du Groenland, dont la majorité est exportée en Chine. Les pêcheries russes et autour de Béring reçoivent de nouvelles espèces de poissons venus du Pacifique. Un pression particulière s’exerce sur les stock de la mer de Barents. Certains points de débarque sont stratégiques comme Kirkenes en Norvège. Il y a une pêche semi-industrielle et une pêche vivrière pour les habitants des côtes. Cette flotte représente 41 % des navires enregistrés qui entrent dans la zone du Code polaire. En dix ans, les navires sont passés de 533 à 723 navires.
Image : Baffin Fisheries
Camille Lin, PolarJournal
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Merci de ce compte rendu très utile.