Monaco œuvre pour plus de coopération autour des sciences polaires | Polarjournal
Le prince Albert II de Monaco est le seul chef d’État en fonction à avoir visité les deux pôles. La famille princière a une longue histoire d’exploration polaire, qui remonte aux expéditions du prince Albert Ier dans l’Arctique. Image : Philippe Fitte / FPA2

Dans l’édifice centenaire du musée océanographique, entre le palais princier et la Méditerranée, le symposium polaire de la Fondation Prince Albert II de Monaco s’est déroulé jeudi et vendredi dernier, réunissant scientifiques et experts, chargés de plaidoyer et directeurs d’organisations, représentants des peuples autochtones et chefs d’États. Au cours des deux journées d’échange, l’accent a été mis sur la collaboration pour rallier aux sciences et à la cause climatique une multitude d’acteurs des deux pôles. Des personnalités influentes de l’Arctique et l’Antarctique ont répondu à cet appel, déjà lancé en 2022, qui aujourd’hui succède au One Planet – Polar Summit de Paris. Image : M. Dagnino / Institut Océanographique de Monaco

Pour être capable de se projeter dans le futur, il faut que la science collabore plus franchement, « en nourrissant donc une collaboration encore trop rare, entre experts des deux régions polaires », précise S.A.S. le Prince Albert II de Monaco, lors de son discours d’ouverture du symposium polaire la semaine dernière au musée océanographique de la ville.

D’une science à l’autre

Sous les fenêtres du musée, à travers lesquelles le regard glisse sur la mer jusqu’à l’horizon, les experts ont partagé leur vue sur la collaboration scientifique. Jérôme Chappellaz, glaciologue du projet Ice Memory – qui archive des carottes de glace du monde entier en Antarctique -, estime que « l’optimisation totale de la logistique polaire » est essentielle pour limiter les émissions (vols, navires, etc.).


« Nous ne savons pas si le niveau de la mer augmentera d’un ou de cinq mètres d’ici à la fin du siècle »

Antje Boetius


Jane Francis, directrice du British Antarctic Survey, rappelle que les automates tels que les drones, les robots et les satellites, permettent à long terme de réduire les coûts de l’observation. Et d’autres s’accordent sur l’espoir d’une meilleure acquisition, traitement et partage des données, nourri par l’essor des intelligences artificielles.

« Nous ne savons pas si le niveau de la mer augmentera d’un ou de cinq mètres d’ici à la fin du siècle », « il faudrait savoir si nous allons assister à une plus grande perte de glace de mer en Antarctique qu’en Arctique », déclare Antje Boetius, directrice de l’Institut Alfred Wegener. Image : Philippe Fitte / FPA2

Antje Boetius, directrice de l’Institut Alfred Wegener (le principal centre de recherche polaire en Allemagne), tient à préciser qu’il faut couvrir toutes les sciences, des glaciers à la glace de mer – identifiant l’océan Austral parmi les inconnues du système climatique global -, ainsi que du vivant aux êtres humains. Ici les peuples autochtones ont un grand rôle à jouer. Réciproquement, les communautés de l’Arctique ont besoin d’une vision sur l’avenir climatique, contrairement à 2022, quand « la plus grande tempête en Alaska a été enregistrée », rappelle Victoria Herrmann de The Arctic Institute.

Point de vue autochtone

« En intégrant les apports des communautés autochtones, si importantes et souvent négligées », a mentionné, S.A.S. le Prince Albert II de Monaco, dans son discours.

« Dans la cosmologie Sami l’être humain fait partie de la nature, on ne la domine pas, c’est un endroit où l’on habite et où on trouve notre nourriture », explique Elle Merete Omma, cheffe de l’unité européenne du Saami Council. L’organisation réunit ce peuple réparti entre la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie. Elle revendique des sièges dans les instances décisionnaires de ce territoire arctique, comme le Parlement européen.


« Il faut déconstruire les mythes autour des régions polaires »

Jefferson Cardia Simões


Le rôle des Inuit dans la science figure parmi les préoccupations de l’Inuit Circumpolar Council. « Ils aident les explorateurs et la recherche, mais ne mènent pas leur propre recherche, regrette Sara Olsvig, représentante internationale du conseil. Nous ne passons pas notre savoir par la science, c’est un des plus gros défis auxquels nous faisons face. »

Elle Merete Omma, cheffe de l’unité européenne du Saami Council, rappelle que le changement climatique menace la sécurité alimentaire des peuples autochtones de l’Arctique. Image : Philippe Fitte / FPA2

« Il est possible de modifier les indicateurs clés pour suivre les changements des écosystèmes à partir des observations autochtones, en utilisant le temps d’arrivée des espèces d’oiseaux au printemps, ou dans la production de la viande, les changements de couleurs et de texture, avec une approche académique », déclare Snorri Sigurðsson, chef de la section protection de la nature de l’Institute of Natural History d’Islande en s’inspirant de ses travaux.

L’un des vecteurs de préservation de ce savoir reste les langues, d’où l’importance de les préserver, et selon Elle Merete Omma, de reconnaître la langue same. Ce changement de conception et de rapport aux sociétés autochtones passe également par le traitement médiatique.

Des messages à faire passer

« Il faut déconstruire les mythes autour des régions polaires pour redéfinir la perception du grand public à ce sujet et s’adresser à toutes les classes d’âge », estime Jefferson Cardia Simões, vice-président des finances du Comité scientifique pour la recherche antarctique (SCAR). Si les médias ont un rôle à jouer, la communication devrait devenir une priorité des instituts de recherche.

Des idées ont émergé des groupes de réflexion pour définir des priorités de recherche polaire. Image : Philippe Fitte / FPA2

C’est ce qui est apparu parmi les réflexions, dont certains précisent qu’il faut s’adresser à des médias qui apportent des informations pertinentes sur les sujets polaires pour alimenter le débat public. Ainsi, l’Association des scientifiques polaires en début de carrière (APECS) de France et de Suisse s’engagent avec PolarJournal au développement de ces compétences.

Les jeunes chercheurs

Six jeunes chercheurs de l’APECS ont reçu une bourse à la mobilité de la Fondation Prince Albert II de Monaco pour rejoindre les instances où scientifiques et décideurs politiques se rencontrent.

Les jeunes chercheurs de l’APECS qui étudient l’Arctique ou l’Antarctique recevant leur prix de la main de la fondation, du SCAR et de l’IASC. Image : Philippe Fitte / FPA2

Beatriz Recino-Rivas a été récompensée, elle travaille sur la modélisation des flux de glace, et s’interroge sur la forme que les résultats doivent prendre – ici des probabilités d’élévation du niveau marin -, selon à qui elle s’adresse. « Les assurances, les gestionnaires de territoire, les communes, les agences nationales… chacun a ses problématiques et fonctionne différemment », nous explique-t-elle pendant une pause-café. Elle compte rejoindre prochainement l’Arctic Science Summit à Édimbourg.


« Le SCAR est un organisme pionnier de la diplomatie scientifique »

Jefferson Cardia Simões


« Il faudrait plus travailler en Antarctique durant l’hiver, mais les conditions sont difficiles, il n’y a rien qui existe et cela prendra du temps pour le planifier », se soucis Jane Francis de BAS, qui comme d’autres, table sur la génération suivante. De l’APECS, Jilda Alicia Caccavo, rappelle lors du discours d’ouverture : « il y a besoin de personnes et il y a besoin d’argent. »

Le nerf de la guerre

Les compagnies privées peuvent aussi apporter un soutien. Le tourisme s’est donc ajouté aux discussions, avec toujours cette question de l’équilibre entre son incidence et ses apports scientifiques. D’autres projets lucratifs peuvent porter la science, comme l’explique Mads Qvist Frederiksen de l’Arctic Economic Council, « il est possible de greffer des projets de recherche autour des câbles sous-marins transarctiques ». Mais il rappelle aussi que la philanthropie se déplace progressivement vers le financement à impact et qu’il serait apprécié des financeurs de pouvoir en mesurer les retombées.

Frederik Paulsen, explorateur polaire et homme d’affaires, est venu présenter la fondation récemment ouverte en France dont il a initié le capital principal et s’adresse à la recherche francophone pour lever d’autres fonds. Image : Philippe Fitte / FPA2

Un levier de développement de la recherche repose sur la rencontre avec des financeurs, « en favorisant les coopérations, les partenariats et les cofinancements », explicite S.A.S. le Prince Albert II de Monaco dans son discours. La principauté de Monaco est engagée depuis longtemps dans les régions polaires et la fondation du prince en a fait sa priorité avant qu’elles apparaissent dans celles de l’agenda politique international.

« Dans l’agenda politique »

À l’issue du symposium, « la fondation publiera un plan d’action qui sera à disposition des décideurs politiques », explique Olivier Wenden, vice-président et directeur de la Fondation Prince Albert II de Monaco. Il contiendra les priorités de recherche identifiées lors de la rencontre.

L’inquiétude des scientifiques est forte : « la dérive est si rapide que l’on manque de capacité de projection », « nous avons un temps de retard », et « la force des changements globaux doivent être transcrite dans l’agenda politique », nous explique Lydie Lescarmotier, de l’International Cryosphere Climate Initiative.


« La mer de Ross a pu être protégée, grâce à 14 ans de recherche scientifique »

Cassandra Brooks


« Il faut prouver que tout est lié pour unir les causes, par exemple la banquise antarctique avec les événements climatiques extrêmes au Brésil, estime Jefferson Cardia Simões. Le SCAR est un organisme pionnier de la diplomatie scientifique, l’un des plus nobles rôles de la science. »

Participants au symposium organisé par la Fondation Prince Albert II de Monaco. Image : Philippe Fitte / FPA2

« S’il y a un problème avec le changement climatique, c’est bien parce que la glace est en train de fondre », a lancé H.E. Ólafur Ragnar Grímsson, invitant à concentrer les efforts de rencontre autour de la cryosphère en Islande, lors de la The Arctic Circle Assembly. L’année dernière, nous y avions constaté l’absence de représentants russes, tout comme ici à Monaco.

L’autre moitié de l’Arctique

Après deux ans de relation difficile avec la Russie, Henry Burgess, directeur de The International Arctic Science Committee (IASC), déclare : « nous avons perdu des données, des amitiés et du potentiel », mais « il faut de la patience et du respect pour écouter et apprendre. » Larry Hinzman, directeur adjoint des sciences polaires au bureau de la politique scientifique et technologique de la Maison Blanche, estime que « c’est une perte terrible ».

La collaboration diplomatique accompagnée par la recherche a déjà emporté de belles batailles. « La mer de Ross a pu être protégée, grâce à 14 ans de recherche scientifique », rappelle Cassandra Brooks, de l’université Colorado Boulder. Projet qui a uni la CCAMLR, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, la Chine et le Prince Albert II de Monaco.

Camille Lin, PolarJournal

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