En déplacement au Groenland et aux îles Féroé, la plus haute représentante de la Commission européenne remet l’Arctique à l’agenda politique. Pour répondre aux priorités de réindustrialisation et d’autonomie énergétique de l’UE, le Groenland devient un allié essentiel. Les deux parties cherchent un terrain d’entente, un bénéfice mutuel : matériaux critiques contre investissement concrets, le nouveau bureau de l’UE ouvre à Nuuk.
Vendredi 15 mars, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, se rendra à Nuuk pour l’inauguration du premier bureau de l’Union européenne au Groenland. « Il est positif que l’UE décide d’installer un bureau un peu plus près du cercle arctique », estime Mads Qvist Frederiksen, directeur de l’Arctic Economic Council. « L’UE est déjà impliquée dans l’éducation, la pêche et la transition écologique au Groenland. Avec ce bureau, elle pourrait s’intéresser davantage aux matières premières et aux opportunités qui s’offrent à elle. »
Ce rapprochement suit la signature récente d’accords stratégiques entre les deux parties, dans lesquels celles-ci s’accordent sur la mise en place d’une chaîne de valeur durable pour l’exploitation des minerais critiques, auxquels les pays d’Europe ont peu accès. L’UE s’est déjà engagée à investir 500 millions au Groenland d’ici à 2027.
Élargir le dialogue
Cependant, l’ouverture du bureau a pour but d’élargir le dialogue. « Il est bon que l’UE puisse désormais suivre plus attentivement la situation depuis le terrain et il est à espérer que cela se répercute à Bruxelles. Depuis des années, nous entendons dire que le Groenland doit diversifier son économie, mais cela nécessite des investissements dans les énergies renouvelables et l’exploitation minière ; une partie du soutien à cet égard pourrait provenir de partenaires de l’UE », estime Mads Qvist Frederiksen.
« D’un point de vue pragmatique, le tourisme est un secteur qui est déjà en développement sur l’île, et il s’agit donc d’une perspective moins lointaine. »
Florian Vidal
Pour les minerais critiques, comme pour les autres sujets qui pourraient émerger, l’Europe s’engage à promouvoir un développement sur le long terme. « Il s’agit avant tout pour l’UE de se positionner. Reste à savoir comment elle compte contribuer et apporter des réponses concrètes aux freins structurels au développement du secteur minier sur l’île », estime Florian Vidal, chercheur en science politique du groupe matériaux stratégique.
Attirer les investisseurs
Pour se différencier d’autres pays comme « la Chine », l’UE ne promeut pas un modèle économique « d’extraction et de fuite », comme l’a décrit Tomas Baert, conseiller au commerce de la présidente von der Leyen, lors d’une conférence de presse mercredi. « Nous venons avec l’investissement et le savoir-faire […] pour établir une partie de la chaîne de valeur dans le pays partenaire », complète-t-il, annonçant le déplacement à venir d’acteurs privés.
Côté Groenland, l’accord apporterait les investisseurs recherchés. « Avec l’UE, nous avons trouvé un partenaire lucide », estime Naaja Nathanielsen, ministre groenlandaise du Logement, des Infrastructures, de la Justice, des Minéraux et de l’Égalité des genres.
« La fabrication de véhicules électriques demande six fois plus de minerais qu’un véhicule thermique, […] les éoliennes exige 15 fois plus de minerais qu’une centrale à gaz », rappelle-t-elle. Le Groenland possède 25 des 44 minerais critiques de la transition énergétique nécessaires au marché européen de l’énergie.
L’énergie renouvelable souhaite être développée au Groenland – même si déjà 66 % de la consommation locale provient de centrales hydroélectriques -, avec l’ambition de pouvoir l’exporter sous forme d’hydrogène. « Nous n’avons pas les reins pour développer cette technologie par nous-mêmes, nous dépendons donc des pays qui conduisent ces recherches, mais nous avons du potentiel dans ce secteur », explique la ministre.
Avec ce bureau et l’appui de la banque européenne d’investissement, des acteurs économiques européens du secteur de l’énergie, par exemple, pourront s’asseoir à la table des négociations, autour du sujet des infrastructures et des investissements.
« Un modèle minier vertueux reste à bâtir »
Cette production d’énergie deviendrait nécessaire pour la construction de sites miniers à faible émission de carbone. Et dans un cas comme dans l’autre, Nuuk n’ambitionne pas de grands projets. « Nous avons déjà un taux de chômage bas », « nous avons une petite force de main d’œuvre », donne-t-elle pour exemples. Le Groenland souhaite offrir à sa population les soins de la gestion et de la maintenance après la construction, avant d’attirer une main d’œuvre extérieure.
Deux des points de vigilance du Groenland sont le respect de l’environnement et des communautés locales. « Nous ne sommes pas un pays où le minier se fait à bas coût », explique Naaja Nathanielsen se référant aux normes du Code minier et du Code du travail groenlandais. C’est à ce niveau que l’Europe estime avoir une carte à jouer en alignant normes européennes et normes groenlandaises.
« Même si le Groenland ne fait pas partie de l’Union, il fait partie de l’Europe, d’une même famille. »
Tomas Baert
Seulement, « un modèle minier vertueux reste à bâtir », rappelle Florian Vidal. « Pour le moment, nous sommes au stade de la vision. « Exporter » un tel modèle demande la mise en place de standards et le développement de technologies correspondant aux exigences des enjeux environnementaux, sociaux, éthiques, etc. »
En Suède, en Norvège et en Finlande, le Saami Council revendique un siège au Parlement européen pour pouvoir débattre à haut niveau des projets éoliens et miniers concernant leur territoire. Le projet de mine de lithium dans le centre de la France en est encore au stade de la consultation publique pour estimer l’impact sur la qualité de l’air, de l’eau, et des besoins en eau dans un contexte de sécheresse estivale marqué par le changement climatique.
Une réflexion dans un premier temps, nécessaire pour construire ce modèle éthique, bien que l’actuel premier ministre français Gabriel Attal annonçait, lors de son discours de politique générale, vouloir simplifier le processus. « Ainsi, la gestion des projets miniers à venir sur le territoire européen donnera le ton de ce que pourrait être ce modèle minier européen », constate Florian Vidal.
Raffermir les liens
L’ouverture du bureau au Groenland est une première étape pour mettre en place une discussion constructive à long terme. L’accessibilité aux principales villes du pays sera bientôt facilitée par de nouveaux aéroports, ce qui pourrait profiter au secteur touristique dans un premier lieu. « D’un point de vue pragmatique, le tourisme est un secteur qui est déjà en développement sur l’île, et il s’agit donc d’une perspective moins lointaine », constate le chercheur en science politique.
Ce déplacement de la présidente de l’UE à lieu dans une période particulièrement instable sur le plan géopolitique et a aussi pour vocation de raffermir les liens, « même si le Groenland ne fait pas partie de l’Union, il fait partie de l’Europe, d’une même famille », a déclaré Tomas Baert.
Camille Lin, PolarJournal
En savoir plus sur le sujet :