Un autre état d’esprit qu’aux JO, aux Arctic Winter Games | Polarjournal
Lors de la première édition des jeux, il y avait une dizaine de disciplines, aujourd’hui il y en a une vingtaine, réparties en trois catégories : les Jeux Dénés (Dene Games), les sports arctiques ou Arctic sports (comme ici avec le head pull), et les sports contemporains comme le futsal. Image : Elina Bertet / Institut polaire français

Voici quinze jours, à 45 minutes d’Anchorage en Alaska, les Arctic Winter Games ont réuni quelque 2 000 athlètes venus des provinces arctiques canadiennes (Yukon, Territoires du Nord-Ouest, Alberta, Nunavik et Nunavut), du Groenland, du nord de la Scandinavie (Laponie et territoire Sami) et de l’Alaska. Les Russes étaient absents. Cet événement sportif est le terrain d’étude d’Elina Bertet, doctorante en sciences sociales et sciences du sport, à l’Université de Bretagne Occidentale et à l’Université d’Ottawa. Elle s’est rendue sur place pour étudier l’identité sportive des jeux et de ses athlètes. Interview.

L’Arctic Winter Games est un mélange de jeux traditionnels des peuples de l’Arctique (Dene Games et Arctic sports), de sports contemporains comme le basket, le volley ou le hockey, et des sports qui sont entre les deux, comme les raquettes à neige ou le ski. Vingt au total. Les concurrents représentent leur région de l’Arctique et cherchent à gagner des médailles comme aux Jeux olympiques, mais de quelle manière les Arctic Winter Games sont-ils différents ?

Le modèle est basé sur celui des JO, les médailles sont des ulus (prononcer « oulou », couteau traditionnel inuit en forme de croissant, ndlr), il y a une cérémonie d’ouverture et une cérémonie de fermeture, les athlètes portent une tenue identifiable, mais l’état d’esprit des athlètes est différent. Le logo des jeux est en forme de trois anneaux : sport, culture et échange. Aux JO, on entend parler de sports toxiques, les athlètes peuvent se blesser en se sur-entraînant et il existe une souffrance physique et mentale, avec des violences sur le terrain. Dans le cas des Arctic Winter Games, tout le monde a envie de gagner et de donner le meilleur de soi, mais ils se concentrent moins sur la performance à tout prix. C’est peut-être permis par un trophée spécial qui récompense le fair-play. Cette année, le Yukon l’a remporté et l’année dernière, c’était le Groenland. Les juges essayent de mesurer le comportement des athlètes comme la bienveillance. J’ai observé que des athlètes s’aident entre eux. Certains coachs conseillent d’autres athlètes, comme au one foot high kick (Arctic sport, ndlr), un saut statique avec un pied en l’air en direction d’une balle suspendue, un coach est ainsi venu donner des conseils à un autre athlète en difficulté entre deux passages.

Les participants, jeunes pour la plupart, entre 12 et 20 ans, vivent dans des conditions de froid similaires. Ils sont là pour se rencontrer et découvrir d’autres cultures polaires en plus de la compétition. Tout le monde parle du 21e sport, un échange de pin’s entre participants très en vogue et promu dans le magazine des jeux Ulu News. Les pin’s donnent un prétexte pour aller vers les autres entre deux compétitions ou pendant les événements culturels. Tous les jours il y a des pop-up, des scènes où l’on entend le joik par exemple, un chant traditionnel Sami de la Scandinavie. À l’ouverture, une femme d’Alaska chantait en Iñupiak dans une fusion pop-traditionnel, il y avait vraiment tout le monde.

Finalement, il y a une grande variété de sports, dont certains très traditionnels, qui ont été oubliés, comment les redécouvrent-ils ?

En Dene Games, deux amies disaient que l’une a influencé l’autre parce qu’elle en faisait depuis quatre ans. Pour les Arctic sports, deux athlètes d’Inuvik dans les Territoires du Nord-Ouest, disaient qu’ils avaient envie d’être comme un athlète de 72 ans qui vit dans leur village, et pratique encore ces jeux. D’autres les découvrent à l’école, lors d’initiations, ou en famille. Certains, en sports contemporains, avaient déjà testé des jeux plus traditionnels, mais pas tous. Je me souviens d’un témoignage : « je suis inuit et mes ancêtres aussi, au début mes frères jouaient au hockey, puis ils se sont mis aux Arctic sports alors je m’y suis mis aussi. »

D’après ses entretiens, leur première expérience sportive est souvent le hockey, très représentatif du Canada. Image : Elina Bertet / Institut polaire français

Dans les Arctic Winter Games, certains ne sont pas sélectionnés pour le sport qu’ils voulaient, mais ils en testent d’autres pour aller aux jeux. Les voies d’entrée sont donc un mélange de tradition, famille, amis et l’existence de cet événement. Mais je pense qu’il est plus répandu qu’on arrive par les sports contemporains puis qu’on découvre les sports plus traditionnels. Ceux-ci regagnent de l’attention, il y a plusieurs scènes internationales pour les Arctic sports avec les World Eskimo-Indian Olympics. Ces sports-là ont du sens aux Arctic Winter Games, et dans les événements qui se jouent dans certains villages.

Qu’est-ce que cette rencontre sportive apporte aux athlètes venus de loin pour participer aux jeux ?

Certains ont commencé le sport il y a seulement huit mois et ils se voient comme des athlètes parce qu’ils font d’autres sports. Tous m’ont dit qu’ils se considéraient athlètes, je ne pensais pas avoir ce résultat. Une ancienne gymnaste interrogée, qui a découvert les Arctic sports, trouve qu’ils sont très complémentaires pour travailler le corps. Elle a un passé autochtone, mais n’avait pas de bagage culturel, elle a ainsi pu renouer avec sa culture. Beaucoup disent que participer à ces jeux, c’est aussi un moyen de se mettre en valeur et tenter de gagner une bourse de sport-étude à l’université, quelque chose de très développé aux États-Unis et au Canada, mais c’est assez difficile de l’obtenir, le niveau est haut, mais les Arctic Winter Games sont un bon tremplin.

Des participants (femme et homme, ndlr), qui habitaient à Yellowknife, une grande ville, et à Inuvik, plus au nord des Territoires du Nord-Ouest, disent que le sport leur permet de voyager. Ça se voyait qu’ils étaient contents d’être là. Certains ont aussi mis en avant l’importance de transmettre en tant que coach leur passion des Arctic sports, comme le knuckle-hop, où ils avancent sur les poings en position de la planche, avec la sensation de partager avec les autres une culture, une tradition et des savoirs. Dans leur définition de ce qu’est un athlète, ils parlaient de l’apprentissage de l’humilité, un cheminement au cours duquel on se mesure à soi-même, sans essayer de se comparer aux autres.

Certains adorent revenir, et ils disent souvent : « ici il y a des personnes que je ne peux pas voir en dehors de cette compétition. » Une athlète en patinage de vitesse était contente de revoir des amies du Groenland et du Yukon. Sinon, ils échangent par réseau social interposé. Pour certains, l’intérêt est détaché du sport c’est juste l’occasion de tester de la nourriture, de voyager et de découvrir l’Alaska.

Propos recueillis par Camille Lin, PolarJournal

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