Au cours de ses trois annĂ©es d’exploitation, le navire de recherche, d’une valeur de 320 millions d’euros, a Ă©tĂ© affectĂ© Ă d’autres tâches. Aujourd’hui, des inquiĂ©tudes commencent Ă se faire sentir.
L’Australie est une nation de premier plan dans l’Antarctique et souhaite dĂ©velopper ses capacitĂ©s pour continuer Ă l’ĂŞtre.
Tel est le message clĂ© d’un plan d’action de 20 ans pour l’Antarctique que le gouvernement australien a publiĂ© en 2022. Un nouveau navire brise-glace, dĂ©crit comme « de classe mondiale » et dotĂ© de capacitĂ©s scientifiques uniques, Ă©tait au cĹ“ur de cet objectif : le RSV Nuyina.
Mais aujourd’hui, trois ans après l’arrivĂ©e du navire en Australie, des inquiĂ©tudes commencent Ă se faire sentir. Dès lors, le navire conçu spĂ©cifiquement pour la recherche n’a toujours pas effectuĂ© de voyage axĂ© spĂ©cifiquement sur la science, et il n’est pas prĂ©vu qu’il le fasse avant 2025.
« Le site [Australian Antarctic Division] s’efforce d’accorder suffisamment de temps au navire pour lui permettre d’effectuer des Ă©tudes marines. Cela commence (et pourrait continuer) Ă susciter des inquiĂ©tudes au sein de la communautĂ© scientifique », indique un rapport gouvernemental datant de fĂ©vrier, selon ABC.
Trop dĂ©pendant d’un seul navire
Le rapport a d’abord Ă©tĂ© jugĂ© trop « sensible » pour ĂŞtre rendu public, mais il a ensuite Ă©tĂ© publiĂ© sous la pression du sĂ©nateur de Tasmanie, Jonathan Duniam. Il prĂ©sente un certain nombre de points critiques concernant le RSV Nuyina.
Le plus important est que l’Australian Antarctic Division (AAD), l’organisme gouvernemental chargĂ© des activitĂ©s en Antarctique, est trop dĂ©pendant d’un seul navire pour mener Ă bien toutes ses tâches. Cela laisse trop peu de temps au RSV Nuyina pour se concentrer sur ce pour quoi il a Ă©tĂ© conçu : la recherche scientifique.
« Étant donnĂ© que la science antarctique est un avantage important que le gouvernement a voulu tirer de l’investissement dans le RSV Nuyina, il pourrait ĂŞtre nĂ©cessaire de se demander si le modèle Ă un seul navire va permettre de rĂ©aliser tout ce qui est demandĂ© au gouvernement dans le cadre du programme antarctique australien », indique le rapport.
Depuis son lancement, le navire a effectuĂ© plusieurs missions de ravitaillement en Antarctique et mĂŞme une opĂ©ration de sauvetage. Mais depuis l’annulation de l’une d’entre elles l’annĂ©e dernière en raison de problèmes mĂ©caniques, aucun voyage scientifique n’a Ă©tĂ© effectuĂ©.
Le premier devrait avoir lieu l’annĂ©e prochaine, Ă l’occasion d’une mission sur le glacier Denman.
Un Ă©quipement de pointe
Cela signifie que de nombreuses fonctionnalitĂ©s de pointe du navire n’ont pas encore Ă©tĂ© utilisĂ©es.
Le RSV Nuyina contient, par exemple, un grand puits central (un trou dans le fond) pour mettre Ă l’eau et rĂ©cupĂ©rer le matĂ©riel d’Ă©chantillonnage et les vĂ©hicules tĂ©lĂ©commandĂ©s. Il contient Ă©galement des laboratoires scientifiques embarquĂ©s et des sonars qui permettent de cartographier le fond marin.
Selon le cabinet d’ingĂ©nierie qui l’a conçu, ce navire est dotĂ© d’un « système de propulsion hybride qui fournit Ă la fois la puissance Ă©levĂ©e nĂ©cessaire pour briser la glace et le silence nĂ©cessaire aux opĂ©rations scientifiques ».
La débâcle de Hobart
Les problèmes soulevĂ©s par le rapport du gouvernement ne sont mĂŞme pas les premiers auxquels le RSV Nuyina a Ă©tĂ© confrontĂ© au cours de sa relativement courte durĂ©e de vie. Ă€ l’automne 2023, un problème plus coĂ»teux impliquant un pont et une station de ravitaillement a Ă©tĂ© mis au jour.
Ă€ l’Ă©poque, le navire, dont le port d’attache est situĂ© dans la ville de Hobart, en Tasmanie, n’avait pas Ă©tĂ© autorisĂ© Ă passer sous le Tasman Bridge, qui enjambe le port de la ville. Dans les annĂ©es 1970, un effondrement partiel du pont dĂ» Ă la collision d’un navire a fait 12 morts, si bien que les autoritĂ©s sont prudentes avant d’autoriser le passage des navires. Selon ABC, une simulation informatique a montrĂ© que le RSV Nuyina heurterait le pont dans quatres transferts sur 109.
Heureusement, l’AAD et ses quais sont situĂ©s Ă l’extĂ©rieur de la ville, de sorte qu’il n’est pas nĂ©cessaire de passer sous le pont pour s’y rendre. Mais la seule station de ravitaillement viable dans le port ne l’est pas.
Cela signifie qu’au lieu de parcourir 4 kilomètres pour se ravitailler, le navire devrait maintenant parcourir 660 kilomètres jusqu’Ă un port situĂ© de l’autre cĂ´tĂ© de la Tasmanie. Le coĂ»t de cette opĂ©ration de ravitaillement devait s’Ă©lever Ă environ 500 000 euros par an.
Une réponse calme
Face Ă ces inquiĂ©tudes, l’AAD reste calme et serein. Dans une dĂ©claration, un porte-parole a indiquĂ© que toutes les questions soulevĂ©es dans le rapport Ă©taient dĂ©jĂ en cours de traitement. En outre, le porte-parole a soulignĂ© que des travaux scientifiques avaient Ă©tĂ© menĂ©s au cours des missions de ravitaillement du navire en Antarctique.
« Le Nuyina a Ă©galement contribuĂ© Ă des activitĂ©s scientifiques essentielles du programme antarctique australien, notamment la cartographie des fonds marins, l’Ă©tude du plancton dans l’ocĂ©an Austral, le dĂ©ploiement de dispositifs de surveillance des baleines et du krill et le soutien Ă la campagne terrestre de Denman (Denman Terrestrial Campaign) », a dĂ©clarĂ© le porte-parole.
Le rapport du gouvernement a Ă©galement estimĂ© qu’il Ă©tait « probable » que l’AAD soit en mesure de rĂ©aliser les avantages escomptĂ©s du RSV Nuyina.
Une solution, dĂ©jĂ mentionnĂ©e dans le plan d’action gouvernemental 2022, pourrait consister Ă louer d’autres navires renforcĂ©s contre les glaces pour des missions de ravitaillement en Antarctique. Cela permettrait au RSV Nuyina de faire ce pour quoi l’AAD a investi 320 millions d’euros : devenir un leader de la recherche en Antarctique.
Ole Ellekrog, Polar Journal
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