Signes de stress visibles dans l’infrarouge | Polarjournal

Comment distinguer les cris de reconnaissance de ceux de détresse dans la cacophonie d’une colonie de manchots ? La réponse se trouve dans le rayonnement infrarouge de ces animaux.

Des têtes noires, de grands becs jaunes et des plastrons blancs. Les manchots royaux groupés en colonies changent de couleur quand ils sont stressés par le passage d’un prédateur, par exemple. Le 10 avril dernier, le Journal of Thermal Biology publie une étude montrant l’utilité des images thermiques pour mesurer les stress aigus (qui ne durent pas) chez ces animaux à sang chaud. « Leur température interne est de 38°C grâce à leur plumage étanche qui participe à 80 % de l’isolation du corps », explique Agnès Lewden, manchologue de l’université Bretagne Occidentale et autrice de l’étude.

Pour éventuellement préparer une fuite, leur flux sanguin se redirige vers le cerveau et les muscles. La température interne de leur corps augmente, et cela se voit à la surface : la chaleur du bec diminue, et celle de l’œil augmente. « L’œil reflète bien ce qui se passe à l’intérieur », nous explique Antoine Stier, manchologue au CNRS à Strasbourg, qui travaille également sur le projet de recherche.

Les données des caméras datent de 2018-2019. « C’est une expérience que nous avons menée dans la baie du Marin à Crozet », se rappelle-t-il. L’utilisation de caméras thermiques évite de prendre des prises de sang pour évaluer le stress chez ces animaux. Cela a été développé dans l’élevage de volailles, puis les biologistes ont expérimenté la méthode chez les mésanges. « Nous pourrions utiliser des pièges photos infrarouges pour automatiser les mesures et développer des outils moins invasifs pour mesurer des impacts », estime Antoine Stier.

Pendant leur mue, les manchots portent encore les anciennes plumes, en plus des nouvelles. « Ils sont trop isolés thermiquement », explique-t-il. Les journées chaudes, ensoleillées et sans vent affectent les manchots qui doivent évacuer le surplus de chaleur. « Quand il fait chaud, nous ne les manipulons pas », précise le chercheur. Les images thermiques peuvent être prises à distance, les scientifiques peuvent ainsi travailler sur d’autres colonies de l’archipel où l’effet du climat est différent, dans la baie de la Chaloupe ou le Jardin Japonais.

Colonie de manchots royaux, baie du Marin, Crozet. Image : Camille Lin

Les caméras thermiques permettront également aux biologistes d’étudier le phénomène d’habituation à l’être humain. « Sur la colonie de la baie du Marin, les manchots qui sont près d’un chemin peuvent être plus habitués au passage que ceux qui sont au fond de la colonie », rappelle-t-il. L’effet cumulatif des vagues de chaleur et de la fréquentation humaine comme le tourisme devient de plus en plus problématique. Un point abordé lors du 11e International Penguin Congress au Chili en septembre dernier à-propos du manchot de Humboldt. D’autres applications pourraient être développées, l’infrarouge colore les manchots d’autres teintes, à nous d’en interpréter les nuances.

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers l’étude : Lewden, A., Ward, C., Noiret, A., Avril, S., Abolivier, L., Gérard, C., Hammer, T.L., Raymond, É., Robin, J.-P., Viblanc, V.A., Bize, P., Stier, A., 2024. Surface temperatures are influenced by handling stress independently of corticosterone levels in wild king penguins (Aptenodytes patagonicus). Journal of Thermal Biology 121, 103850. https://doi.org/10.1016/j.jtherbio.2024.103850.

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