Le physicien Hiroto Nagai compose une musique à partir de données environnementales des régions polaires.
Dans Cell le 18 avril dernier, le géophysicien japonais Hiroto Nagai, de l’université de Rissho, expose son expérience de composition du Quatuor à cordes No. 1 Polar Energy Budget. Il tente d’ouvrir au public une autre porte d’entrée vers les graphiques et les courbes scientifiques, plus émotionnelle, par le biais de la musique. « Elle capte l’attention du public avec force, alors que les représentations graphiques exigent plutôt une interprétation active et consciente », écrit-il. Son travail reste toutefois très dépendant des données physiques, démarche scientifique oblige. La température, les précipitations, la couverture nuageuse et les radiations solaires fluctuent au cours de la partition. Ces paramètres ont été relevés dans quatre lieux au pôle Nord et au pôle Sud. Les mesures de la portée battent 12 temps, comme les mois d’une année. Au fil des saisons entre 1982 et 2022, les pôles se superposent ; l’été et l’hiver de part et d’autre du globe se chevauchent. C’est un challenge d’un point de vue harmonique. « Ludovico Einaudi, qui a fait la musique d’Intouchable, est allé jouer au pied des glaciers qui fondent, en se concentrant sur des harmoniques touchantes », remarque Sébastien Damiani, pianiste virtuose et compositeur de musique de film collaborant régulièrement avec le groupe IAM. « Chacun à son niveau a composé quelque chose de totalement différent, et avec Hiroto Nagai, cela sonne très contemporain. »
Une pure « sonification » des données aurait été l’attribution d’une note pour chaque valeur des quatre paramètres environnementaux, mais Hiroto Nagai est allé plus loin. Il s’est permis d’arranger la pièce sonore en attribuant des séquences de notes à chaque instrument composant le quatuor à cordes (deux violons, un alto et un violoncelle). Pour que le son prenne un aspect narratif, il s’est également permis de travailler sur le rythme et l’alternance de séquences de tension suivies de résolutions. L’entrée en scène des espaces géographiques (deux stations de recherche japonaises en Antarctique, une base d’antennes satellites au Svalbard et un forage de glace au Groenland) est progressive. Le compositeur a joué sur les techniques des violonistes pour attaquer les cordes avec des pizzicatos et des stacattos. Jouer sur la texture du son est une astuce, mais difficile pour lui de faire de vrais choix musicaux. Même s’il tente quelques progressions harmoniques, il est limité par la forme des données. La pièce utilise toutes les notes de la gamme chromatique, le résultat rappelle certaines tonalités de la musique classique contemporaine.
« Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de tentatives publiées ni de discussions ouvertes sur la composition musicale basée sur la sonification, ni de tentatives pour démontrer la méthodologie requise pour affecter intentionnellement les émotions du public avec une pièce artistique », explique-t-il dans un communiqué de presse. « J’espère vivement que ce manuscrit marquera un tournant important, en passant d’une ère où seuls les scientifiques manipulent des données à une ère où les artistes peuvent librement exploiter les données pour créer leurs œuvres. » Une question persiste au sein de cette expérience. Pourquoi ne pas travailler avec un compositeur, pour que science et musique organisent leurs compromis pour raconter les pôles ?
Camille Lin, PolarJournal AG
Lien vers l’étude : Nagai, H., 2024. String Quartet No. 1 “Polar Energy Budget” – Music composition using Earth observation data of polar regions. iScience 0. https://doi.org/10.1016/j.isci.2024.109622.
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