La gigantesque polynie de Maud Rise en mer de Weddell a longtemps intrigué les chercheurs. Désormais, l’ensemble des facteurs expliquant sa formation et sa persistance est mieux connu. Et c’est une histoire de vents, de courants, de topographie et de beaucoup de sel.
Identifiée pour la première fois dans les années 1970 grâce à des satellites à télédétection, la polynie de Maud Rise, en mer de Weddell, au nord de l’Antarctique, a sporadiquement et brièvement réapparu dans les décennies qui ont suivi. Jusqu’ici, rien de très exceptionnel, les polynies étant un phénomène normal. Mais durant l’hiver 2016-2017, la polynie de Maud Rise a pris une ampleur gigantesque. Atteignant une superficie de plus de 40 000 km2, soit la taille de la Suisse, elle a persisté durant des semaines, au grand étonnement des scientifiques qui ont tenté de comprendre pourquoi.
Une équipe de chercheurs de l’Université de Southampton, de l’Université de Göteborg et de l’Université de Californie à San Diego s’est donc penchée sur le sujet. Leurs conclusions ont été publiées le 1er mai dernier dans la revue Science Advances. Et il semble que c’est une conjugaison de facteurs qui a amené à la formation de Maud Rise.
Une polynie, du russe “polynia” qui signifie trou dans la glace, est une étendue d’eau libre dans la glace de mer. Ce phénomène est tout à fait naturel et se produit autant en Arctique qu’en Antarctique. Les polynies apparaissent généralement durant la période estivale et au même endroit.
Les polynies peuvent se former grâce aux courants marins verticaux qui remontent l’eau plus chaude des profondeurs vers la surface, empêchant ainsi la formation de la glace. Ces étendues d’eau peuvent aussi se former sous l’effet des vents et des courants qui disloquent la banquise créant ainsi des ouvertures dans la glace de mer.
Toutefois, pour créer la polynie unique de Maud Rise, il aura fallu à la fois du vent, des courants océaniques et une géographie unique du fond océanique pour transporter la chaleur et le sel vers la surface. Des conditions réunies durant l’hiver 2016-2017 lorsque le gyre de Weddell, ce grand courant océanique circulaire, est devenu plus fort, ce qui a favorisé l’élévation vers la surface de la couche d’eau profonde chaude et salée.
Mais ce n’est pas encore suffisant : « Cette remontée d’eau aide à expliquer comment la glace de mer pourrait fondre. », mentionne Fabien Roquet, professeur d’océanographie physique à l’Université de Göteborg et co-auteur de la recherche, dans un communiqué de presse publié par l’Université de Southampton le 1er mai. « Mais à mesure que la glace de mer fond, cela entraîne un rafraîchissement des eaux de surface, ce qui devrait à son tour mettre un terme au mélange. Il faut donc qu’un autre processus se produise pour que la polynie persiste. Il doit y avoir un apport supplémentaire de sel de quelque part. »
Grâce notamment à des cartes de glace de mer obtenues par télédétection ou encore des mammifères marins marqués, les chercheurs ont découvert que les courants marins très actifs de la mer de Weddell jouaient sur la topographie particulière du Maud Rise, un plateau continental qui s’élève vers la surface à la manière d’un énorme monticule sous-marin, déplaçant le sel à son sommet.
Un processus qui porte le nom de transport d’Ekman et qui explique pourquoi la polynie de Maud Rise est aussi gigantesque : « Le transport Ekman était l’ingrédient manquant essentiel qui était nécessaire pour augmenter l’équilibre du sel et maintenir le mélange du sel et de la chaleur vers les eaux de surface », note Alberto Naveira Garabato, professeur d’océanographie physique à l’Université de Southampton et co-auteur de l’étude.
Lien vers l’étude : Aditya Narayanan et al., Ekman-driven salt transport as a key mechanism for open-ocean polynya formation at Maud Rise. Sci. Adv. 10, eadj0777 (2024). DOI:10.1126/sciadv.adj0777
Mirjana Binggeli, Polar Journal AG
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