L’arrivée des saumons inquiète les populations locales, normalement habituées à pêcher des ombles. Les habitants des côtes et des rives ainsi que les scientifiques travaillent main dans la main pour comprendre la teneur de ces changements. Ils découvrent que les saumons passent par les eaux libres des mers de Bering, Tchouktches et Beaufort.
C’est chaud, pas de glace… ils y vont ! Les saumons rouges, les saumons du Pacifique et bien d’autres tels que les saumons bossus franchissent pointes, caps, que dis-je péninsules, en direction de l’Arctique canadien. « Les études sur la migration des poissons montrent que plusieurs espèces rentrent en Arctique par le détroit de Béring, mais nous précisons comment les saumons peuvent ensuite se diriger vers l’est », nous explique Karen Dunmall, biologiste au Fisheries and Oceans Canada. Son équipe de chercheurs s’est associée avec les pêcheurs vivriers des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut sous la bannière du projet Arctic Salmon. Ils co-plublient une étude le 5 juin dernier dans la revue Globale Change Biology. Elle révèle que ces animaux à écailles profitent de l’ouverture et le réchauffement simultanés de plusieurs zones maritimes pour rejoindre ou dépasser le delta de la rivière Mackenzie.
Deux mers séparent cette rivière du détroit de Bering : la mer des Tchouktches puis la mer de Beaufort. « Ils ont besoin d’un corridor d’eau chaude », nous explique Joseph Langan de l’Université d’Alaska Fairbanks, coauteur de l’étude. La rupture de la glace et sa fonte au printemps laisse agir le soleil sur l’eau libre. Il réchauffe la mer des Tchouktches et il en va de même pour la mer de Beaufort. Plus cela arrive tôt, plus la température peut monter. Quand les deux se réchauffent suffisamment à la fin du printemps, les saumons remontent vers l’est le long du nord de l’Amérique.
Les habitants du nord-ouest du Canada pêchent habituellement l’omble chevalier et l’omble de fontaine au filet, mais depuis les années 2000, ils ont répertorié l’augmentation des captures de cinq nouvelles espèces de saumons. « Sans les conseils et certaines directives des communautés locales, le projet n’aurait pas eu lieu. Nous n’aurions jamais su que les saumons étaient entrés dans l’ouest de l’Arctique canadien. Ces poissons sont des signes tangibles des changements », précise Karen Dunmall. « Les communautés se sont demandées pourquoi il y avait des années avec plus ou moins de saumons et nous avons travaillé ensemble pour y répondre. »
« Les résultats des climatologues montrent que la glace continuera de fondre plus tôt et de se reconstituer plus tard dans l’année, avec des variations d’une année sur l’autre », constate Joseph Langan. Les filets des pêcheurs vivriers capturent toujours plus de saumons qui devraient continuer d’affluer. Un nombre croissant de communautés découvre ces espèces pour la première fois. « Nous travaillons avec les gens de l’Arctique canadien depuis plus de vingt ans pour répondre à leurs questions, suscitées par ces changements », ajoute Karen Dunmall.
Peuvent-ils se reproduire sur place ? « L’hiver est sans doute trop froid. Les rivières gèlent jusqu’à la base du lit, ils ne trouveront peut-être pas l’eau douce, ni l’habitat, propices pour compléter leur cycle de vie », explique Karen Dunmall, précisant qu’ils doivent continuer de chercher de ce côté-là. « ‘Quelles seraient les conséquences sur les ombles ?’ nous demandent-ils également », raconte la chercheuse.
Une autre question essentielle taraude ceux qui voudraient manger ces poissons : comment ravir tables et papilles ? L’équipe y a répondu en éditant un livre de recettes, plats mijotés, quiches… il y en a pour tous les goûts.
Camille Lin, Polar Journal AG
Livre de cuisine : L. Christie, K. Dunmall, M. Bilous, D. McNicholl and J. Reist. 2020, Un livre de cuisine pour les saumons de l’Arctique, Fisheries and Oceans Canada.
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