Vers une régulation du tourisme en Antarctique | Polarjournal
Le protocole de Madrid donne la priorité à la recherche scientifique en Antarctique – une réserve naturelle dédiée à la paix et à la science -, mais elle n’a pas l’exclusivité. Image : Michael Wenger

La progression du tourisme en Antarctique ne va pas sans inquiéter les Parties consultatives du Traité. Dans un communiqué de presse publié à l’issue des réunions de Kochi, son Secrétariat a annoncé son intention de mieux encadrer cette activité. Mais les points de vue sont encore très divergents.

Le tourisme en Antarctique pourrait-il un jour être régulé ? C’est une des grandes questions qui gravitent autour de l’Antarctique sans vraiment trouver d’espace propice à l’atterrissage. Lors de la 46e réunion à Kochi en Inde le mois dernier, les 29 États dits Parties consultatives (ayant un droit de vote) se sont mis d’accord sur « l’élaboration d’un cadre ambitieux, complet, flexible et dynamique pour réglementer le tourisme », peut-on lire sur la page du secrétariat du traité depuis le 30 mai dernier. « Cet accord permet que la discussion ait lieu, c’était un gros morceau. Le sujet n’a pas été discuté en profondeur, mais cela a permis de planifier les prochains échanges », commente Claire Christian, directrice exécutive de la Coalition sur l’Antarctique et l’océan Austral (ASOC). L’ONG défend l’environnement antarctique, participe aux négociations et plaide pour l’encadrement touristique.

En avion, en croisière… le cap des 100 000 visiteurs a été dépassé l’année dernière pour la première fois. Pour Anne Choquet, enseignante-chercheure en droit, « ce n’est pas vraiment le chiffre qui est le déclencheur. L’offre touristique est en train de se diversifier, le réchauffement climatique ouvre de nouveaux lieux, ce qui accroît les risques pour l’environnement et la sécurité. Aujourd’hui, les États sont mûrs pour mieux prendre la problématique en compte. » Parmi les pays proactifs d’une réglementation, la France avait proposé en 2002 de créer une nouvelle annexe au protocole de Madrid (relatif à la protection de l’environnement) pour réglementer le tourisme. « L’annexe aurait permis de regrouper les éléments de droit au même endroit », nous explique Anne Choquet, soucieuse de cette visibilité auprès des opérateurs. « Mais au lieu de ça, on a fait la politique des petits pas, de mesures en décisions. »

À Kochi, l’Association internationale des organisateurs de voyages dans l’Antarctique (IAATO) a réitéré sa volonté de participer à la discussion sur la mise en place de mesures de gestion du tourisme. Elle gère actuellement un mécanise d’autorisation d’accès à des sites pour les compagnies, elle surveille ses membres et maintient une base de données accessible avec des statistiques sur les activités de toutes les entreprises. Image : Secrétariat du Traité de l’Antarctique

Il existe des éléments qui régulent le tourisme, mais le cadre est mou. « Cela n’a rien de comparable à ce que l’on peut trouver dans un parc national », nous explique Claire Christian. Par exemple, l’interdiction de l’utilisation du fioul lourd restreint les zones aux embarcations adaptées, mais l’exploration de nouveaux sites ne nécessite aucune autorisation. Pour qu’un opérateur puisse travailler dans la région, il doit obtenir l’aval de son pays. En France, c’est le préfet administrateur des Terres australes et antarctiques françaises qui étudie les demandes, après l’avis du Comité de l’environnement polaire. Il doit s’assurer que les compagnies n’auront qu’un impact environnemental limité. « Je pense que ce ‘cas par cas’ est problématique et certaines Parties aussi », nous explique Claire Christian. « Il n’y a pas de vue d’ensemble, et aucun encadrement du nombre. Il n’y a pas de planification ni de surveillance officielle des visiteurs et de leur impact. »

Rien de contraignant, mais une fédération d’opérateurs travaille cependant sur ces questions. L’Association internationale des organisateurs de voyages dans l’Antarctique (IAATO), fondée dans les années 1990, regroupe des entreprises. L’IAATO liste des sites et formule des règles pour les débarquements. Les navires membres se coordonnent pour ne pas se retrouver au même endroit au même moment. Elle promeut un tourisme respectueux, mais ce ne sont que des lignes directrices uniquement imposées aux membres de l’IAATO. « C’est utile pour l’industrie de mettre en place un système qui décourage les comportements dont les gens, les ONG et les gouvernements ne veulent pas, qui respecte les valeurs de l’Antarctique et qui montre que l’endroit est unique », estime Claire Christian tout en déplorant d’autres types de tourisme fleurissant sur ce continent.

Selon l’ASOC, il y a eu 808 vols vers l’Antarctique en 2022-2023, 1024 cette année. Image : White Desert

Il est aujourd’hui possible d’accéder à l’Antarctique en avion pour faire du ski, du parachute, de l’escalade et séjourner dans des hôtels sur la glace. « Les gens ne devraient pas pouvoir y aller juste pour dire ‘j’ai fait ça là-bas’, ce n’est pas très respectueux. C’est un endroit peu connu et encore mal compris », complète-t-elle. Pour éviter de nuire à l’environnement et pour respecter le principe de précaution qui est au centre du cadre juridique de l’Antarctique, ne faudrait-il pas faire cesser le tourisme ? « Bien que le protocole de Madrid donne la priorité à la science, cette dernière n’a pas l’exclusivité », explique Anne Choquet. « Interdire le tourisme en Antarctique, ce serait reconnaître l’incapacité de gérer d’autres usages pacifiques du continent. Pour éviter cet échec, il est indispensable de passer par le renforcement de la réglementation. »

Certains pays pensent qu’il faut gérer le tourisme site par site. Il y en a environ 200 sur la péninsule Antarctique. Faudrait-il plafonner les visites ? Une règle commune, ou travailler au cas par cas ? Soumettre l’ouverture de nouveaux sites au consensus ? Toutes ces questions restent ouvertes. L’ASOC préfère réfléchir à l’échelle régionale. « Les sites sont très petits, quelques kilomètres carrés, c’est loin de correspondre à l’espace vital des baleines, des phoques et des manchots », remarque Claire Christian. À la fin, il faudra que les positions se rejoignent pour qu’un cadre puisse être adopté.

Ce que craint l’ASOC, c’est que les pays soient dépassés. « Il faut gérer ce sujet maintenant, parce que les compagnies avancent plus vite que les négociations entre 29 pays », nous dit Claire Christian. « Des discussions devraient être planifiées sur cinq ans, pour que les pays puissent consulter leurs experts juridiques et se préparer à trouver un consensus. »

Camille Lin, Polar Journal AG

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