Près des chaînes montagneuses, des résurgences de glaces multimillénaires hébergent des écosystèmes actifs encore jamais répertoriés.
Les hauteurs de l’Antarctique sont sèches et froides. Hostiles. Si vous y cherchez des traces de vie, vous risquez de croiser des fantômes, Scott et ses acolytes marchant dans le blizzard. À l’abri des chaînes de montagnes la neige est rare, le vent balaye une surface de glace brillante. La plus dure, la glace bleue. Vieille de plusieurs millions d’années, elle permet aux gros-porteurs d’atterrir et de décoller. Près de la station norvégienne Troll, une piste est aplanie sur un promontoire, où cette glace s’écoule rapidement. « Tous les ans, ils la surfacent », nous raconte Aga Nowak, écologue du centre universitaire du Svalbard. « Et quand on a discuté avec eux, ils nous ont dit ‘parfois, nous avons des soucis, la glace se casse et il y a de l’eau dessous. » De l’eau liquide ! Le 24 juin dernier, l’équipe de recherche britannique et norvégienne démontre dans la revue Communications Earth & Environment que des formes de vie se développent à haute altitude, en Antarctique, dans la glace bleue. « Dans un hydrosystème actif », a-t-elle précisé à Polar Journal AG par téléphone. Sur la calotte, la glace bleue couvre une superficie vaste comme la Grande-Bretagne.
Comment est-ce possible ? De l’eau liquide, certes, mais les températures ne descendent jamais sous les zéros degrés. Il faut de l’énergie. Le soleil en apporte l’été au pôle Sud. Les rayons passent à travers l’eau gelée. Des particules sombres de roche, prises dans cette masse solide, emmagasinent la chaleur. Ces débris proviennent du lit des glaciers, parait-il. Sous le poids de la calotte, la glace bleue remonte, par plissures. Il a fallu des millénaires pour qu’elle réapparaisse, par endroits incrustés de particules. Autour de ces débris, des « trous de cryoconite » se forment. Ils mesurent de 10 centimètres à 8 mètres, pour ceux qui ont été découverts autour de la station de la station Troll. « Il y a de l’eau et des gaz. Un petit effet de serre se crée », explique la chercheuse. « Des cyanobactéries se développent, capables de photosynthèse, même par faible luminosité, mais aussi des bactéries. Certaines pourraient être uniques. » Si les hauteurs de l’Antarctique sont désertiques, voilà les oasis.
Ces microorganismes sont adaptés à des conditions qui pourraient être celles de la lune glacée de Jupiter. « C’est un milieu analogue, je pense qu’il est possible de trouver des formes de vie similaires, sur Europe ou d’autres lunes », estime-t-elle. Aucun indice visible depuis l’espace ne laissait présager leur présence en Antarctique. En gravitation près d’Europe, la sonde Juno n’en est sans doute pas non plus capable.
Cette vie produit et transforme la matière (du carbone, du nitrate, des phosphates…) en nutriments. Les quantités sont loin d’être négligeables. Imaginez un sac d’engrais de huit tonnes par kilomètre carré. Une question taraude la chercheuse : « Ces éléments rejoignent-ils l’océan Austral ? », contribuant ainsi à sa fertilisation. « Ces ‘trous de cryoconite’ sont proches de zones de drainage connus », remarque-t-elle. « Je pense que l’eau peut descendre dans la glace et être évacuée. »
Camille Lin, Polar Journal AG
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