Depuis un an, le Chili s’est donné les moyens de faire appliquer sa loi Antarctique adoptée en 2020 en inscrivant des comportements interdits en Antarctique dans la liste des actes soumis à sanctions, définie dans une loi de 2023 sur les délits économiques. L’objectif est de poursuivre efficacement les délits environnementaux commis sur le continent blanc et dans l’océan Austral, d’éliminer les circonstances atténuantes et de responsabiliser les entreprises. Ainsi, le système judiciaire du pays est en mesure de demander des comptes aux entreprises et aux particuliers qui enfreignent les règles du Traité sur l’Antarctique. Entretien.
Catalina Sepúlveda est une universitaire spécialisée dans le droit international de l’Antarctique ainsi que de son application dans le droit chilien. Elle participe aux travaux de recherche du projet U-Antarctica et de l’équipe de recherche de l’Instituto Milenio Base dirigée par le professeur Luis Valentín Ferrada – un des rédacteurs de cette actualisation juridique. Catalina Sepúlveda a rendu visite aux stations antarctiques de la péninsule au début de cette année avec cette équipe de recherche.
La loi des Délits Économiques lie-t-elle le Traité de l’Antarctique avec le droit domestique chilien ?
En Antarctique, deux mondes juridiques se complètent. Le système international, qui est régi par le Traité, prend la forme d’une couverture géante qui englobe les États signataires. Le droit international unit la volonté de ces États, qui s’engagent à suivre certaines obligations, comme le respect et la protection de l’environnement, en vertu de laquelle l’exploitation des ressources minières est interdite. Chacun des pays membres – dont le Chili – s’y est engagé, mais le système antarctique ne commande pas la mise en oeuvre de ces compromis, ni ne précise la forme que devrait prendre le droit interne, ni la nature des sanction à établir en cas de non-respect. En revanche il définit les interdits et cela relève de la souveraineté de chaque pays de définir les délits en fonction de sa culture et de son droit. Le droit chilien est différent du droit américain. Les sanctions prévues par leur système punitif peuvent être différentes ; par conséquent, la manière dont ils intègrent les normes internationales dans leur propre législation peut être distincte.
Une nouvelle loi sur les délits économiques a été promulguée en août dernier au Chili. Elle ne traite pas directement des délits contre l’environnement antarctique, mais elle les incorpore dans la loi et leur donne le statut de délit économique.
Outre l’intention de rendre les sanctions beaucoup plus efficaces, cette loi à pour but d’être applicable à la délinquance en col blanc dont les conséquences juridiques étaient rare, très faibles ou dérisoires. Avant cette loi, il existait des types de crimes économiques bien connus, tels que la corruption et le trafic d’influence. Aujourd’hui, elle ajoute les délits environnementaux aux délits économiques déjà identifiés, comme ceux liés à la gestion forestière ou la sauvegarde d’espèces protégées.
Quel est le volet concernant l’Antarctique dans cette loi ?
La loi chilienne sur l’Antarctique (2020) régit tout ce qui a trait à notre activité en Antarctique, à la protection de nos droits souverains, à nos institutions et à notre engagement en faveur de la protection de l’environnement. Elle transfère tout ce que nous avions déjà en termes de réglementation sur l’Antarctique et l’incorpore – par rapport aux normes internationales – dans notre droit interne. La loi sur la criminalité économique de 2023 reprend et systématise les infractions environnementales que l’on retrouve parmi la liste nationale comprenant 200 délits.
Désormais, les personnes morales et les entreprises responsables de délits environnementaux – commis par, ou au profit d’une entreprise – sont également responsables de délits économiques. Quelque chose qui n’existait pas dans notre réglementation pour ces infractions très claires, passibles d’amende. Dans ce sens, elle vient supprimer certaines circonstances atténuantes tel que « la conduite antérieure irréprochable » pour les auteurs de délits et limite les peines alternatives telles que la liberté conditionnelle.
Parmi les délits contre l’environnement antarctique, nous pouvons rencontrer les mauvais traitements infligés aux animaux, les prélèvements de plantes ou d’algues sans autorisation, mais aussi les dommages aux monuments nationaux et à la couverture végétale native, ou encore l’exploitation de minéraux et le déversement de pétrole. Une série de comportements que l’on retrouve dans le Traité sur l’Antarctique, ses annexes et ses protocoles.
Cette loi concerne-t-elle seulement les Chiliens et comment est-elle appliquée ?
La compétence, entendue comme le pouvoir d’un État de prendre une décision faisant autorité, est une question complexe et controversée dans le monde universitaire, sujette à différentes interprétations. Cependant, la loi chilienne sur l’Antarctique stipule que « le ministère public enquêtera et poursuivra les délits commis sur le territoire de l’Antarctique et de l’océan Austral ». Elle prévoit également que le parquet de Punta Arenas sera l’organe chargé d’enquêter et de poursuivre les délits commis sur ce territoire et qu’un tribunal sera chargé de les instruire.
Selon la loi chilienne sur l’Antarctique, le maintien du respect de cette loi sera assuré sur le continent blanc par des fonctionnaires de l’armée, de la marine nationale, des forces aériennes et de l’Institut chilien de l’Antarctique. D’autre part, les responsables des stations ont l’obligation de dénoncer tous les délits dont ils sont témoins ou qui sont portés à leur connaissance, et le non-respect de ce devoir de dénonciation serait même un délit, en vertu d’une base juridique qui existe sur tout le territoire chilien.
Propos recueillis par Camille Lin, Polar Journal AG
En savoir plus sur le sujet