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Une rencontre au nord-ouest du Groenland remet en question les plans d’une femme sportive et voyageuse qui s’embarque dans une relation profonde avec le peuple Inughuit. Naîtra de celle-ci une thèse d’anthropologie sur l’évolution et l’adaptation de leurs savoir-faire. Depuis, le métier de guide conférencière lui permet d’en parler le plus possible.
« Ce n’est pas une faute de frappe, les ‘Inughuit’ existent bien et ils se considèrent aussi comme des ‘Inuit' », se souvient avoir expliqué, Christiane Drieux d’un ton enjoué, au secrétariat de l’université lors de son dépôt de thèse en 2019. L’admiration pour ses professeurs d’anthropologie est toujours tenace. Charles Stépanoff, Joëlle Robert-Lamblain ou Bernard Saladin d’Anglure ont été « géniaux et extraordinaires ». Mais l’amitié nouée avec une communauté du nord-ouest du Groenland en amont de ses recherches en sciences sociales a été plus forte. Christiane Drieux n’est plus affiliée à l’académie. « La vie universitaire peut être parfois lourde, alors qu’aujourd’hui je me sens légère. » Pas une année passe sans qu’elle rende visite aux Inughuit. « J’ai vu des mariages, des naissances, et suivi des évolutions. »
Coup de foudre
Campée sur ses skis de fond, Christiane Drieux participait dans les années 2000 à La Transjurassienne, Le Coureur des Bois ou encore la Marcialonga. L’été, elle faisait du vélo ou des treks un peu osés, comme le parcours entre Kangerlussuaq et Sisimiut au Groenland. « C’était difficile à cause du permafrost, l’absence de chemin et d’équipement. » À la fin du parcours, elle décide alors de prolonger sa visite de l’île. L’écriteau d’un navire côtier indique : « destination nord ». « Nom d’une pipe », s’est-elle entendue prononcer. Rouge, nommé Sarfaq Ittuk, il reliait plusieurs villages et des centaines de nautiques plus loin. C’est le coup de foudre.
La rencontre avec les Inughuit la touche particulièrement. Titre de sa future thèse : Les Inughuit, chasseurs de narvals. Évolution et adaptations des savoirs et savoir-faire dans un environnement en changement. Ces derniers perpétuent encore la chasse au narval à l’aide de harpons à propulseur, bien qu’ils soient aussi très au fait de la modernité. « Quand je suis rentrée en France, j’avais du mal à les retrouver sur le planisphère qui ne leur accorde pas beaucoup d’importance. » Témoigner ? Oui, mais comment ? La voyageuse a l’habitude d’écrire sur un carnet, mais pense que ce ne sera pas suffisant. Comment trouver les mots justes sans « verser dans le sentimental » et acquérir une crédibilité ?
Comme une amie
Les Derniers Rois de Thulé l’inspire. Elle rencontre Jean Malaurie à l’issue d’une conférence. « Je repars là-haut », lui dit-elle en lui demandant s’il pouvait lui formuler un mot, « comme un mot d’introduction ». Avec une carte détaillée, elle y retourne, et en revient avec beaucoup d’informations sur la vie des Inughuit. Un terreau fertile à l’idée de reprendre les études en 2009. « Pourquoi n’ai-je pas fait d’anthropologie plus tôt ? », s’est-elle dite.
Ses terrains lui redonnent accès à « cette communauté joyeuse » dont le sens de l’humour n’épargne pas les scientifiques. « Il y a une blague qui dit : ‘il y a le papa, la maman, l’enfant et la chercheuse’. » Cependant, elle échappe à cet écueil. « Ils ne m’ont pas vue comme ça, mais comme une amie. » Leur rencontre avant la thèse n’y est peut-être pas pour rien. « On a noué quelque chose, un échange autour des valeurs humaines. » Un lien aussi fort ne se met pas toujours en place quand les bourses d’études ne permettent pas aux étudiants ou aux chercheurs de se maintenir sur le terrain.
« La recherche ethnographique est fondée sur l’immersion de longue durée, ce qui implique d’établir des rapports de confiance et d’amitié avec les personnes qui nous reçoivent. Il n’y a pas d’enquête de terrain possible autrement », nous explique son directeur de thèse, Charles Stépanoff. « Christiane Drieux a réussi avec beaucoup de talent cette immersion et a établi des liens de réciprocité, d’échange d’idées et de confiance d’une grande qualité et c’est ce qui a fait tout le prix de son ethnographie. »
La voie royale
La transmission du savoir leur est chère. « Ils ont envie qu’on les connaisse, ils se sont confiés. Jamais je ne leur ai demandé de se mettre en scène, quand je pars avec eux c’est pour participer à leurs activités. Ils ont confiance en ma fidélité. »
Quand un jour, un directeur d’une compagnie touristique la rencontre, il écarquille les yeux. Elle s’essaye au métier de guide conférencière. « La culture et les traditions de ce pays sont peu connues des passagers de croisière. L’accent est souvent mis sur les baleines, les ours, les oiseaux, alors qu’il y a des hommes et des femmes qui vivent là-haut. Mon plaisir est de partager mes connaissances et mon expérience. »
Transformée en navire de croisière en 2006, sa première embarcation vers le nord, Sarfaq Ittuk, revient dans sa vie et s’appelle aujourd’hui l’Ocean Nova. « Je suis heureuse de présenter mes amis de là-haut, c’est à chaque fois un immense bonheur de les voir accourir sur la plage pour me serrer dans leurs bras lorsque le bateau arrive. » Une amitié qui saute aux yeux des passagers ébahis. « C’est la voie royale, pour les faire connaître. » Après les croisières, on lui écrit souvent pour en savoir plus. Ainsi, Christiane Drieux déconstruit les préconçus abondants dans la littérature occidentale, sur « les mangeurs de viande » ou leur lien avec la modernité. « Certains partent en vacances aux îles Canaries, ils étudient au Canada, au Danemark… » Et même l’anthropologie.
Camille Lin, Polar Journal AG
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