Une étude publiée le mois dernier démontre que les méduses pourraient être une source de nourriture bien plus importante que ce que l’on pensait. Une découverte qui pourrait bien remettre en question certaines de nos connaissances sur la chaîne alimentaire en Arctique.
Les méduses sont des organismes au corps aqueux, fragiles et souvent transparents. Leur aspect gélatineux et leur capacité à se défendre en infligeant des blessures particulièrement douloureuses en font un animal pas très populaire auprès du grand public. Pourtant, les méduses jouent un rôle important dans l’écosystème marin, notamment comme nourriture pour des prédateurs tels que les poissons.
Dans les mers arctiques, les méduses, ainsi que l’ensemble du zooplancton gélatineux qui regroupe également les siphonophores, les cténaires et les tuniciers pélagiques, constituent de fait une source de nourriture que l’on pensait jusqu’ici plutôt marginale. Or, une étude publiée le 14 août dernier publiée dans la revue Royal Society Open Science semble démontrer le contraire.
Menée par des scientifiques des prestigieux Institut Alfred Wegener (AWI) et Institut Thünen, l’étude a découvert que les poissons se nourrissaient largement de ces invertébrés. C’est du moins la conclusion des chercheurs qui ont analysé le contenu stomacal de sept espèces de poissons arctiques capturés dans les eaux groenlandaises. « Nous avons détecté jusqu’à 59 espèces d’invertébrés gélatineux dans les estomacs des poissons. Cela montre clairement qu’ils jouent un rôle important, mais jusqu’alors négligé, dans le réseau trophique subarctique. », déclare Annkathrin Dischereit, doctorante à l’AWI et principale auteure de l’étude , dans un communiqué de presse publié le 14 août sur le site de l’AWI.
Pendant longtemps, on a pensé que les poissons dédaignaient les méduses et autres organismes gélatineux pour ne s’en nourrir que dans les situations d’urgence. Or, il n’en est rien. Chez les sept espèces de poissons étudiées, des méduses et zooplanctons gélatineux ont été retrouvées dans les estomacs en quantités variables. Ou plutôt de l’ADN de méduses.
Grâce à la technique de métabarcoding ADN, il a été en effet possible à l’équipe de recherche de retrouver les traces de ces invertébrés dans le système digestif : « Leur nature aqueuse et leurs tissus délicats sont rapidement digérés dans l’estomac des prédateurs, c’est pourquoi leur contribution au régime alimentaire des prédateurs est souvent négligée lors des analyses gastriques conventionnelles (microscopie). », mentionne les auteurs dans leur étude.
Plus rapidement digérables, faciles à chasser, disponibles en grand nombre et intéressants d’un point de vue énergétique, le zooplancton gélatineux a le potentiel de nourrir les prédateurs à moindre coût. Une découverte qui pourrait bien remettre en question le rôle de ces organismes dans la chaîne alimentaire arctique et sur l’impact de la présence de ces invertébrés, actuellement en augmentation en raison du réchauffement climatique.
Avec ses eaux riches en méduses notamment, le Groenland voit ainsi ses populations d’invertébrés non seulement croître mais se déplacer vers le nord, ce qui en augmente l’abondance de méduses dans les eaux arctiques.
Les méduses font en effet partie de ces espèces sur lesquelles le changement climatique a un impact plutôt positif. Elles prolifèrent dans des milieux marins qui se réchauffent, s’adoucissent et s’acidifient. Mais outre leur nombre, c’est désormais leur importance dans l’alimentation d’autres espèces devraient nous pousser à revoir nos connaissance : « Les résultats de notre étude actuelle soulèvent des doutes sur notre compréhension des écosystèmes subpolaires et sur la manière dont l’augmentation récemment observée du zooplancton gélatineux pourrait les affecter. », relève Charlotte Haverman responsable du groupe de recherche junior ARJEL à l’Institut Alfred Wegener, Centre Helmholtz pour la recherche polaire et marine (AWI), dans le communiqué de presse de l’AWI.
Animal omniprésent dans les eaux mondiales, les méduses se trouvent dans tous les océans du monde et à toutes les profondeurs, de la zone épipélagique aux grandes profondeurs marines. Leur prolifération dans plusieurs écosystèmes marins a donné naissance au terme de “gélification des océans”, un phénomène qui peut poser problème : pêche, tourisme ou encore infrastructures humaines obstruées par des masses gélatineuses, ces profusions d’invertébrés sont rarement vues d’un bon œil.
De même, leur augmentation en nombre peut entraîner une concurrence avec des poissons notamment pour une même nourriture. Un vrai problème lorsque des espèces subissent déjà, dans certaines régions, le stress d’une pêche importante.
Mirjana Binggeli, Polar Journal AG
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